Être utile ou ne pas l’être : est-ce bien la question?

Les experts de la retraite préviennent souvent du danger de se sentir « inutile » une fois à la retraite. En même temps, on entend souvent les retraités qui font du bénévolat dire que cette activité répond à leur besoin d’être « utile ». Toutefois, il y a lieu de se questionner sur le sentiment d’inutilité et pourquoi les gens pensent en général qu’il est important d’être utile ou de se croire utile.

D’où vient le sentiment d’inutilité?

Le sentiment d’inutilité peut se manifester à tout âge sans égard au niveau réel de productivité de la personne. Il est souvent le symptôme d’un problème plus vaste, d’une dépression par exemple. Une mère de trois enfants, ayant un emploi rémunéré, qui s’occupe de ses parents âgés tout en étant coach de soccer pourrait éprouver des sentiments d’inutilité si elle est aux prises avec une dépression. 

C’est quand notre estime de soi est basse qu’on se sent inutile et pas nécessairement parce qu’on est inactif ou « inutile ». Étant donné que la retraite entraîne de nombreuses pertes – la disparition de l’identité liée au travail, la perte des responsabilités et le départ des enfants, pour ne nommer que celles-là - ce n’est pas surprenant que certains retraités se sentent dépossédés de leur valeur et donc « inutiles ».  Le sentiment d’inutilité n’indique pas nécessairement une dépression mais cela peut signaler un malaise. C’est une indication que quelque chose doit être résolu mais chercher à tout prix à se rendre utile n’apportera pas nécessairement la rédemption espérée.

L’importance accordée à l’utilité dans notre société

Examinons tout d’abord le concept de « l’utilité » dans notre société. Une personne peut-elle être moins utile qu’une autre? Prenons le cas d’une personne qui n’est pas en mesure de travailler ni de fonder une famille à cause d’un handicap ou d’une maladie. Est-elle pour autant inutile? Bien sûr que non. Une artiste a-t-elle moins de valeur qu’un pompier qui sauve des vies? Un père de famille plus qu’un célibataire? Une personne âgée moins que la personne qui lui donne des soins? Ces questions démontrent l’absurdité de mesurer notre valeur en termes de productivité ou de rôle dans la société.

Pourtant, nous jugeons souvent les autres et nous-mêmes en fonction de ces critères. L’origine de cette façon de penser se trouve dans la tradition judéo-chrétienne où l’individu n’a pas de valeur en lui-même. Selon ce système de croyance, ce serait la productivité et la postérité (faire des enfants!) qui permettent d’être considéré comme un membre utile de la société. C’est ainsi que nous éprouvons de la difficulté à exister juste pour nous-mêmes si nous ne sommes pas en mesure de démontrer notre utilité dans la société.

La valeur accordée à la productivité et à l’activité dans la culture occidentale est à la source de bien des difficultés d’ajustement chez les personnes retraitées. Elle est sans doute aussi une des sources de l’âgisme : les personnes âgées ne sont pas des membres utiles de la société… elles ne servent plus à rien… elles ne produisent plus…etc. Soit, mais selon la même logique, les bébés ne servent pas à grand-chose non plus!

Bienfaits et limites du bénévolat

En Amérique du Nord, le bénévolat est souvent présenté comme le remède par excellence au sentiment d’inutilité chez les retraités.  Mis à part le fait de profiter à la société, le bénévolat peut effectivement apporter de nombreux bienfaits à la personne qui le pratique. Il permet de contrer l’isolement social, de former de nouveaux intérêts, d’enrichir son expérience de vie, etc. Pour plusieurs retraités, le bénévolat constitue la base sur laquelle leur vie est organisée et ils s’en portent fort bien.

Toutefois, le bénévolat peut aussi s’avérer décevant et même contre-productif si le travail en question n’apporte aucune satisfaction personnelle. Un travail bénévole qui ne nous convient pas et dans lequel on ne se sent pas suffisamment valorisé peut avoir un effet néfaste sur l’estime de soi. Des études ont démontré que les retraités qui travaillent -de façon rémunérée ou non- en retirent plus de satisfaction lorsque cette activité leur permet d’utiliser leurs compétences ou d’en développer de nouvelles. En d’autres mots, le sentiment d’être « utile » n’est pas suffisant; ce qui importait le plus pour ces personnes était surtout le fait de se sentir « compétents » et « efficaces ».  

L’endroit choisi pour faire du bénévolat devrait faire appel à nos qualités et compétences ou nous permettre d’en développer de nouvelles. La mission de l’organisme devrait être en lien avec nos valeurs ou nos intérêts personnels et on devrait se sentir bien accueilli et apprécié dans le groupe. Bref, le travail bénévole doit contribuer à notre estime de nous-mêmes et non pas le diminuer.

La valeur de l’altruisme

Cela dit, l’altruisme -c’est-à-dire le don de soi- ne découle pas toujours du besoin d’être utile. L’altruisme est une valeur en elle-même. Une personne peut vouloir consacrer son énergie à des causes -politiques, artistiques, environnementales, etc.- qui lui tiennent à cœur. Son implication est motivée par le désir de faire avancer une cause et le sentiment d’être utile n’est pas nécessairement le moteur principal de son action.

Toutefois, il faudrait se garder d’ériger l’altruisme comme une valeur suprême ou une obligation morale.  Certains retraités bénévoles disent qu’ils désirent « redonner à la société » ce qu’ils ont reçu de la vie. Fort bien. D’autres estiment qu’ils ont grandement contribué à la société tout au long de leur vie et aspirent à une retraite centrée sur leurs propres besoins et intérêts. Fort bien également. Est-ce qu’une façon est meilleure que l’autre pour vivre une retraite heureuse? Non. Les personnes qui pratiquent le bénévolat disent en retirer un sentiment de bonheur mais cela ne veut pas dire qu’ils sont nécessairement plus heureux que ceux qui ne le font pas. Une personne qui décide de ne pas faire de bénévolat-quelle qu’en soit la raison- n’est pas égoïste ou centrée sur elle-même mais elle a choisi d’autres façons d’être dans la société. De plus, il existe de nombreuses autres valeurs sur lesquelles on peut miser et qui sont tout aussi valables. Cela pourrait être de vivre près de la nature en la respectant, d’avoir des relations plus authentiques, de s’ouvrir à d’autres cultures ou de se développer intellectuellement.

Quand on ne peut plus rendre service

Nombre de retraités aiment rendre service sans pour autant faire du bénévolat de façon encadrée. On peut aider ses amis, ses enfants, ses voisins ou ses parents âgés. Ceux qui rendent service de cette façon se sentent valorisés pour l’aide qu’ils apportent. Mais en vieillissant, il vient un moment où nous n’avons plus l’énergie, les capacités ou la motivation pour rendre service. Nous passons éventuellement du statut de bienfaiteur à celui de bénéficiaire de services et il devient alors de plus en plus difficile de maintenir le sentiment d’être « utile ».

Des études démontrent comment le sentiment d’être inutile est un prédicteur de mortalité chez les personnes âgées.  (GruenewaldKarlamanglaGreendaleSingerSeeman, 2007) Toutefois, chez les personnes âgées comme dans d’autres groupes d’âge, le sentiment d’être inutile ou sans valeur est un symptôme de la dépression et est souvent associé à l’isolement social.  Se concentrer sur le sentiment d’inutilité ou s’acharner à vouloir être utile ne réglera pas le problème. En fait, il s’agit plutôt de trouver d’autres façons de se sentir bien et apprécié qui ne dépendent pas de la capacité de rendre service.

Alors, quoi faire?

Rien en particulier. Même quand nous ne sommes plus utiles, nous pouvons rester des ami(e)s irremplaçables, des mentors pour les plus jeunes ou tout simplement une inspiration pour ceux qui nous entourent. Nous pouvons insuffler aux plus jeunes un sens de la vie qui vaut la peine d’être vécue et une philosophie de la résilience. Je n’aime pas parler de la sagesse des vieux car celle-ci ne vient pas forcément avec l’âge – et il y aura un article là-dessus un jour; toutefois, que nous soyons sages ou non, on peut partager avec les autres notre sens de l’humour, notre générosité, notre engagement, nos passions, nos erreurs et illusions, etc. C’est en partageant avec authenticité notre perspective unique sur le monde que nous apportons quelque chose au monde.

Les théories de la psychologie positive font reposer le bonheur sur autre chose que le sentiment d’être utile. Le bonheur dépend plutôt d’une façon d’être dans le monde. Il faut chercher sa valeur au fond de soi-même, non pas dans ce que nous faisons mais dans ce que nous sommes. Et il ne faut pas attendre d’être devenu « inutile » pour commencer à cultiver le sentiment de sa propre valeur.

Deux références sur l’estime de soi et la recherche de sens :

Jean Louis Drolet (2017) La route du sens : L’art de s’épanouir dans un monde incertain. Les éditions Québec-Livres, Montréal

Christophe André (2009) Imparfaits, libres et heureux. Pratiques de l’estime de soi. Odile Jacob, Paris.

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

2 commentaires

  1. Image
    Danielle Beaulieu15/01/2021 à 12:29:07

    merci pour cet article. Avec la vieillesse vient souvent la maladie et c'est alors qu'on se sent encore plus inutile. Cet article m'aide à réaliser que malgré le manque d'énergie qui ne me permet pas d'aider les autres comme j'aimerais le faire, je peux encore partager mon expérience de la vie. Il m'arrive toutefois de douter que les jeunes soient encore intéressés à discuter avec la personne vieillissante que je suis. Danielle

  2. Image
    Jacques Dupont17/01/2021 à 17:24:38

    Merci Danielle. Un texte de Jean Carette de l'AQDR (Association québécoise pour les droits des retraités), repris ici sur Facebook par Roméo Bouchard, actualise l’urgence de ce questionnement. https://www.facebook.com/romeo.bouchard36/posts/10161241895548849 Note: je suis particulièrement sensible à deux points soulevés en commentaire par madame Beaulieu. Les déboires de santé (incapacités et donc dépendance) et le non-intérêt (apparent?) des plus jeunes, pourraient bien constituer la base d’un sentiment d’inutilité. Mais bien sûr, il serait toujours temps de relire l’éloge de la paresse.

Envoyer un commentaire

Articles récents dans la même rubrique :