L’humeur…au temps du corona

Depuis le début de la pandémie, j’entends souvent dans les conversations entre retraités, l’affirmation suivante : « Ah, nous les retraités, nous n’avons pas à nous plaindre. Nous sommes dans la meilleure situation possible pour vivre le confinement ». Effectivement, la situation semble relativement facile pour les personnes retraitées autonomes et qui ne sont pas en résidence ou en CHSLD. Nous avons juste à rester chez nous, c’est pas si mal. Il nous faut essentiellement gérer l’ennui et l’absence de contact avec nos proches.

Toutefois, bien que nous soyons dans une situation relativement enviable, nous ne sommes pas à l’abri des problèmes de santé mentale. Une difficulté liée au confinement est que nos états d’âme ont maintenant le champ libre sans rien pour les arrêter. Les états d’âme sont ce mélange de pensées et de sentiments, positifs et négatifs, qui traversent sans cesse notre esprit pendant que nous vaquons à nos occupations.  On se parle à soi-même, quelquefois on vitupère, on se défend, etc. Tout ça à l’intérieur de nous, sans prononcer un mot. Christophe André, le psychiatre et psychothérapeute, appelle cela « le petit théâtre de notre vie intérieure ». (Les États d’âme. 2011)   Nous ruminons tous un peu dans notre vie quotidienne et cela ne pose pas de problème particulier. Le problème survient quand les états d’âme négatifs s’éternisent.

En temps normal, nous disposons de plusieurs moyens pour couper court aux états d’âme désagréables. Mais voilà, tous ces moyens nous ont été enlevés. Spectacles, cinéma, restaurants, conversations au café, bénévolat, fêtes familiales, exercices au gym, ligue de pétanque ou de quilles, tout ce qui pourrait nous maintenir dans une humeur positive -ou au moins neutre- tout a disparu. Le problème est double : premièrement, les sources normales de plaisir n’existent plus, ce qui crée un grand vide dans nos vies. Deuxièmement, la rumination arrive pour remplir ce vide et comme nos activités habituelles ne sont pas là pour mettre fin aux états d’âme, on continue de se sentir mal à l’aise. C’est une sorte de trou noir dans lequel on tourne en rond, ce qui peut éventuellement mener à la dépression.

Christophe André recommande les stratégies suivantes pour mettre fin aux états d’âme désagréables :

  • Prendre conscience de ses mouvements émotionnels. Noter leur apparition, déceler les régularités : sont-ils plus fréquents le matin ou en fin de soirée?
  • Quel était le déclencheur de la rumination : regarder les nouvelles, parler à tel proche au téléphone?
  • Nommer l’émotion prédominante : suis-je en colère ou juste agacé(e)? Est-ce que je me sens coupable? Déçu(e) Triste ?
  • Distinguer entre les pensées et la réalité : par exemple, je pense « la maison est sale, je n’arrive pas à la garder propre » mais la réalité est qu’il y a seulement une pièce qui a besoin d’être nettoyée.
  • Faire des exercices de relaxation ou de méditation. Susciter des occasions d’émotions positives (parler à un ami au téléphone, faire une promenade, préparer une soupe, etc.) pour se permettre de passer à autre chose.

Cette dernière stratégie qui consiste à remplacer la rumination par une expérience positive est plus difficile à mettre en œuvre en ce moment, puisque nous n’avons pas présentement accès à toutes nos activités habituelles. Il faut faire autrement, avec des moyens plus réduits. Cette question pourrait faire l’objet d’un prochain article.

On a beaucoup parlé de l’augmentation des problèmes de santé mentale dus à la pandémie mais on a tendance à penser que ces difficultés concernent surtout les personnes fragiles, qui ont déjà connu des épisodes de maladie mentale. Ou celles qui vivent des épreuves particulières : perte d’un proche à cause de la COVID, fermeture d’entreprise, faillites personnelles, violence conjugale exacerbée par la proximité, etc. Ce sont effectivement les problèmes les plus criants. Par conséquent, nous avons tendance à minimiser nos propres difficultés en les comparant à ceux qui ont « des vrais problèmes ». On peut en venir à se faire des reproches : « Ben voyons, j’ai pas de raison de me sentir comme ça. Y’a des situations bien pires que la mienne ».   Cette auto-flagellation ne fait qu’aggraver les difficultés car on finit par se sentir nul de ne pouvoir faire face à la situation, ce qui entraine une baisse de l’estime de soi. Vaut mieux accepter le fait d’éprouver cette difficulté, en reconnaître la légitimité et la rendre concrète en parlant à ses proches ou ses amis. C’est fort probable que d’autres personnes dans son entourage éprouvent des difficultés également.

Pour en apprendre plus sur les états d’âme, j’ai bien aimé le livre de Christophe André, Les États d’âme. Un apprentissage de la sérénité. Odile Jacob, 2011.  Les livres de Christophe André sont le résultat de sa longue pratique de la psychiatrie et de la psychothérapie. Bien qu’agréables à lire et accessibles, ses livres sont fouillés et basés sur la recherche scientifique. Pas de recette miracle ni d’exercices simplistes mais des explications claires et nuancées.

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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