Introduction
Quand je commence à réfléchir à un thème pour l’article de la semaine, je me trouve toujours face à un dilemme : parler de retraite ou de vieillesse? Je devine que j’ai peut-être deux auditoires distincts avec des intérêts différents. Les personnes qui sont fraîchement retraitées ou qui vont l’être bientôt ne veulent pas nécessairement entendre parler de vieillesse (non, merci, pas tout de suite…) alors que ceux qui ont pris leur retraite il y a quelques années ne veulent pas en entendre parler puisqu’ils connaissent déjà tous les trucs. Donc, retraite ou vieillesse ? En fait, ce dilemme n’existerait pas si on considérait que le vieillissement est un processus continu qui commence bien avant qu’on se retire du monde du travail. Le début officiel de la retraite n’est qu’un jalon dans ce processus déjà entamé.
Quand retraite et vieillesse se tenaient main dans la main
Il n’y a pas si longtemps, la retraite (pour ceux qui pouvaient la prendre) survenait quand on était déjà vieux. Nous avons tous en tête ces images de vieillards se berçant sur la galerie en attendant que la mort vienne les chercher. En fait, il est fort probable que ces « vieillards » avaient moins de 65 ans. En effet, jusque dans les années 1920, la durée moyenne de vie oscillait autour de 60 ans et les retraites étaient très courtes. À cette époque, ce n’était pas exagéré de dire que la retraite était l’antichambre de la maladie et de la mort.
Une longue retraite, une courte vieillesse?
On comprend pourquoi, de nos jours, on cherche à maintenir une distance mentale entre le moment de la retraite (qui a lieu en moyenne à 62 ans au Canada) et le début de la vieillesse. Maintenant que la longévité moyenne a atteint les 80 ans, cela nous fait miroiter une longue retraite de loisirs et d’activités suivie d’une période de maladie et d’incapacité aussi courte que possible.
Toutefois, ce modèle ne correspond pas à la réalité car le processus de vieillissement est entamé bien avant qu’on prenne notre retraite. Une anecdote à ce sujet. J’ai beaucoup marché dans ma vie et j’ai toujours aimé penser que je marchais vite. Avant de prendre ma retraite, je faisais à pied une distance de quelques kilomètres pour me rendre au bureau. Je continuais de penser que je marchais vite jusqu’à ce que je me fasse dépasser et très facilement en plus, par une jeune femme qui elle, ne semblait pas se presser du tout. C’est nonchalamment qu’elle m’avait dépassée! Le choc fut brutal. Sans m’en rendre compte, j’avais considérablement ralenti.
Il en va de même pour le vieillissement psychologique qui s’accomplit à petits pas, sans qu’on en soit conscient. Mais dans le cas du vieillissement psychologique, il ne s’agit pas de pertes mais bien d’une évolution, d’une réorientation, d’un mûrissement.
Prendre sa retraite, c’est préparer sa vieillesse
Déjà, au moment où on envisage de prendre sa retraite, nous avons changé : le travail nous intéresse moins, on a moins de tolérance pour les irritants liés au travail, l’exigence de la performance devient pénible. Un processus de détachement et de distanciation s’est enclenché : on se voit ailleurs, on aspire à autre chose. Ceci ne peut s’accomplir à moins que nous ayons renoncé à certains aspects de notre identité ou de ce qui nous motivait auparavant. On peut dire que le processus de vieillissement psychologique est enclenché.
Les autres décisions que nous prenons durant cette période sont également modulées par les effets anticipés du vieillissement : Où vivre? Dans quel genre d’habitation? Comment maintenir les liens avec nos enfants et nos proches? Quel sera notre lien avec le travail, payé ou non? Nous ne sommes pas encore vieux mais toutes ces questions sont examinées en fonction de notre âge et de notre place dans le cycle de vie.
Comment vieillir?
Toutefois, c’est plus tard, une fois qu’on a visité tous les pays, pris tous les cours, essayé tous les centres de ski et que certains de nos amis et proches sont décédés, que d’autres questions peuvent se poser. Est-ce qu’on peut vraiment vivre de cette façon pendant dix, quinze ou vingt ans? Les voyages et le bénévolat seront-ils suffisants pour nous garder stimulés et motivés tout au long de cette période? Et qu’arrivera-t-il une fois que nous serons moins capables ou moins intéressés?
Peu de livres traitent de ces questions. Bien entendu, il existe une pléthore de livres pour nous dire comment bien vieillir. Les conseils qu’on y trouve sont plutôt évidents : il faut bien manger, faire de l’exercice, cultiver son réseau social, rester impliqué, etc. Et ils sont à courte vue : en effet, que faire quand l’exercice devient difficile ou pénible, quand les amis ne sont plus là? Ces livres glissent vite sur une dimension primordiale du vieillissement : Comment préserver son identité quand des éléments de notre personnalité que nous considérions importants semblent vouloir nous quitter? Comment donner un sens global à son existence malgré les affres du vieillissement?
Les enjeux psychologiques de la vieillesse
Les psychologues ont élaboré des modèles pour décrire les défis psychologiques de la vieillesse. Le plus connu est celui de Erik Erikson pour qui le défi de la soixantaine est la nécessité de comprendre et d’accepter. Selon Erikson, il faut accepter ce que nous avons été et ce que nous sommes et se sentir en communion avec les autres humains.
Toutefois, je trouve que cette citation de Laforest (1989) tirée du livre de Jean-Luc Hétu Psychologie du vieillissement (2016) résume très bien les enjeux du vieillissement psychologique : « C’est d’abord une crise d’identité : nécessité d’établir de nouveaux rapports avec soi-même et avec le monde des valeurs. C’est aussi une crise d’autonomie : nécessité d’établir de nouveaux rapports avec les autres en relation avec la satisfaction de ses propres besoins. Enfin, la crise de la vieillesse est une crise d’appartenance, fondant la nécessité de nouveaux rapports avec la société et, plus profondément avec le courant même de la vie (…) une crise résultant du conflit entre l’aspiration du sujet à la croissance et du déclin biologique et social consécutif à son avancement en âge »
Les psychologues nous disent que c’est durant la retraite active qu’il faut commencer à préparer sa vieillesse. Il ne s’agit pas tellement de savoir ce que nous allons faire quand nous serons vieux- c’est-à-dire comment nous allons utiliser notre temps- mais plutôt quel genre de personne âgée nous souhaitons être durant le temps qu’il restera.
Conclusions
Durant mes cours de préparation psychologique à la retraite, je disais aux participants qu’en tant que nouveaux retraités, ils étaient comme à la maternelle. Au début, on joue, on s’amuse avec ses amis mais tout cela, c’est pour qu’on aille à l’école un jour. La maternelle n’a de sens que si elle mène à l’école et son but c’est pour préparer à l’école. Mais pour les participants aux séminaires, le message ne passait pas, trop occupés qu’ils étaient à planifier leurs expéditions au Pôle Nord pour accorder de l’attention à leur future vieillesse.
Sherwin Nuland, un auteur que j’apprécie beaucoup, dit dans son livre The art of aging (2007) qu’il faut commencer tôt à se préparer à la vieillesse. À ce sujet, il cite Léonard de Vinci : (veuillez svp excuser cette traduction maladroite) « Si vous estimez que la vieillesse se nourrit de la sagesse, alors, c’est durant votre jeunesse que vous devez faire en sorte de ne pas être affamé durant votre vieillesse. »
Références
Jean-Luc Hétu Psychologie du vieillissement. Comprendre pour intervenir. Groupéditions Éditeurs. Montréal (2016)
Sherwin B Nuland. The Art of Aging. A doctor’s prescription for well-being. Random House, New York. (2007)
Retraite et vieillesse ne sont pas un même défi. Pour moi, la retraite est un état qui réfère à un vécu de travail en société qui arrive à terme. Alors que la vieillesse est un état d’esprit qui s’installe jour après jour, au fil du temps. Et qui devient ce qu’on en fait. Est-ce que la vieillesse commence le jour suivant la retraite. Pour certaines personnes, probablement. Pour d’autres, dont moi, ça n’a rien à voir. La vieillesse on la ressent progressivement s’installer au fond de soi Ce ressenti, pour qu’il soit agréable à vivre, doit être accompagné d’ apprentissages tout au long de la vie. Ils viennent modifier notre attitude face au vieillissement. À tous les âges de la vie on module alors l’intensité de nos nouveaux apprentissages. Ils changent avec le degré de nos capacités physiques, émotionnelles, etc... Ceci fait en sorte que vieillir s’inscrit dans un processus dynamique qui respecte notre devenir, apporte un état de bien-être et, à l’instar de vos propos il en résulte une courte vieillesse