Les hommes et les femmes à la retraite

Introduction

Jusqu’à très récemment, je ne me suis pas intéressée à la question des différences possibles entre les hommes et les femmes dans leur façon de vivre leur retraite. Je n’abordais pas cette question dans mes séminaires sur la préparation psychologique à la retraite car elle ne me paraissait pas pertinente ou si elle l’était encore, elle cesserait de l’être très bientôt. Je pensais que toute différence entre les sexes serait due au rôle joué par le travail dans la vie des retraité(e)s et que si des différences existaient, celles-ci disparaitraient à mesure que les femmes investiraient complètement le marché du travail

Toutefois, je suis tombée dernièrement sur un paragraphe qui m’a intriguée. Il provient du livre Tomber à la retraite de Bachant, Blondin, Boivin, et Preston publié en 2010.

« Il n’est pas rare de constater qu’à la retraite un homme a tendance à devenir davantage casanier. Il choisit souvent de s’investir davantage dans des activités de bricolage, de rénovation ou dans des sports. La femme retraitée pourrait quant à elle avoir davantage le goût de sortir, ayant eu tout au long de sa vie active à concilier le travail, les tâches domestiques et les soins à la famille. La retraite représente pour elle l’occasion de vivre de nouvelles expériences. Ainsi, la femme de façon générale, privilégiera des activités à l’extérieur que ce soit pour des rencontres avec ses amis, le gardiennage de ses petits enfants ou du bénévolat. »

Cette section du livre s’intitule « Deux sexes, deux planètes! ». J’ai pensé que soit les auteurs avaient une vision dépassée des questions liées au genre, soit qu’ils savaient quelque chose que je ne savais pas. J’ai décidé d’explorer la question plus à fond en examinant deux aspects : les enjeux de la transition vers la retraite pour les hommes et les femmes et les activités pratiquées par les uns et les autres à la retraite.

La transition vers la retraite

Un retour dans le passé

Pendant longtemps, les études scientifiques sur la retraite démontraient qu’en général, les hommes étaient plus nombreux que les femmes à avoir des difficultés à s’adapter à la retraite. La raison invoquée pour expliquer ce phénomène était que l’identité masculine reposait souvent sur leur profession ou sur le fait d’être le principal pourvoyeur du ménage. Une fois à la retraite, plusieurs hommes n’arrivaient pas à trouver d’autres sources d’identité pour remplacer celle qu’ils avaient perdue et ils se retrouvaient alors devant le vide.

Mais qu’en était-il des femmes? En fait, on ne connait pas grand-chose sur ce que les femmes pensaient de la retraite car les premières recherches sur la retraite se sont très peu intéressées à elles. Après tout, se disait-on à l’époque, les femmes étaient presque toutes des ménagères ou occupaient des postes si peu gratifiants qu’elles seraient heureuses de prendre leur retraite à tout moment. Par conséquent, la transition vers la retraite était une question qui concernait surtout les hommes. Pour une femme mariée, le défi de la transition consistait plutôt à savoir quoi faire de son homme quand celui-ci prenait sa retraite.

Et maintenant

Avec l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, la donne a totalement changé; on peut supposer que le défi de la transition à la retraite est tout aussi pertinent pour les femmes que pour les hommes. Les femmes parvenues à la fin de la cinquantaine sont souvent dans la meilleure période de leur carrière et elles y trouvent une grande satisfaction. Même pour les femmes dont l’emploi est moins valorisant, d’autres aspects du travail tels que l’autonomie financière, le sentiment d’exercer ses compétences, les relations sociales au travail et le simple fait d’être à l’extérieur de la maison peuvent constituer de puissants motifs pour continuer à travailler. Par conséquent, même si l’identité des femmes ne repose pas nécessairement sur le travail comme c’est -ou c’était- souvent le cas pour les hommes, leur sentiment de perte au moment de la retraite peut être tout aussi important.

Malheureusement, l’idée que les femmes accordent moins d’importance à leur travail que les hommes est restée implantée dans beaucoup de cerveaux. C’est particulièrement vrai quand une femme a travaillé à temps partiel ou de façon discontinue ou a commencé à travailler plus tard. La croyance erronée que le travail n’est pas aussi important pour une femme peut causer des malentendus dans les couples. Par exemple, un homme pourrait s’attendre à ce que sa conjointe subordonne le moment de sa retraite à la sienne alors que celle-ci aurait préféré continuer à travailler. Les femmes qui mettent fin à leur emploi pour une raison autre que leur propre désir de le faire doivent certainement trouver plus difficile leur adaptation à la retraite. (Yogev, 2012)

Les résultats d’une enquête

Les résultats d’une enquête effectuée en 2016 par le TIAA (le Teachers Insurance and Annuity Association of America) auprès de plus de 1 500 d’enseignants retraités apportent un nouvel éclairage sur la question. Parmi les répondants au sondage, 77% des hommes contre 69% des femmes avaient trouvé « facile » la transition vers la retraite. Bien entendu, d’autres enquêtes semblables devraient être effectuées avant de pouvoir conclure que ces résultats dénotent une tendance générale chez l’ensemble des retraités.  Malgré cette limite dans l’applicabilité des résultats, on ne peut plus, d’emblée, penser que les hommes ont plus de difficulté à s’adapter à la retraite.

Comment pourrait-on expliquer que, dans cette enquête, seulement les deux tiers des femmes aient trouvé « facile » le passage à la retraite comparé aux trois quarts des hommes?  Les résultats de l’enquête du TIAA montrent que beaucoup plus de femmes étaient proches aidantes (43%) en comparaison aux hommes (26%), une différence de 17%. Les femmes qui doivent mettre leurs projets personnels en veilleuse pour s’occuper d’un proche n’éprouveront certainement pas le même sentiment de liberté que leurs conjoints qui n’ont pas ce genre de responsabilité.

D’autres aspects pourraient aussi compliquer la transition pour les femmes. Si le conjoint a pris sa retraite en premier -c’est souvent le cas car les hommes sont généralement plus âgés que leurs épouses- cela peut créer des tensions dans le ménage. La conjointe pourrait avoir de la difficulté à poursuivre ses propres buts face à la routine déjà établie de son conjoint. Il y a aussi la question du partage des tâches domestiques qui reste un enjeu pour un certaine proportion de couples.

Que font les femmes et les hommes à la retraite?

L’enquête du TIAA permet aussi de dégager des différences importantes dans le choix des activités pratiquées par les répondants masculins et féminins. En voici quelques-unes :

  • 80% des femmes contre 70% des hommes passent du temps à des intérêts personnels tels que la lecture
  • 80% des femmes contre 67% des hommes consacrent du temps avec les membres de leur famille.
  • 75% des femmes voient leurs ami(e)s sur une base régulière contre seulement 52% des hommes.
  • 58% des femmes et 42% des hommes font du bénévolat

Les hommes s’adonnaient plus souvent aux activités suivantes :

  • Pratiquer un sport préféré : 38% des hommes contre 18% des femmes
  • S’impliquer dans un aspect de leur ancien travail qu’ils appréciaient : 26% des hommes contre 14% des femmes.

C’est donc deux fois plus de répondants masculins que féminins à pratiquent un sport préféré. Toutefois, les femmes étaient plus souvent engagées dans des activités de groupe menées par des instructeurs : classes de conditionnement, yoga, etc.  De plus, les femmes interrogées étaient légèrement plus nombreuses (40%) que les hommes (35%) à consacrer du temps à des activités créatives telles que l’écriture, la peinture, l’artisanat.

Des différences importantes

Cette enquête portait sur un groupe très spécifique -des enseignants- et par conséquent, certains des résultats pourraient être reliés à des effets d’échantillonnage. Toutefois, les écarts de pourcentage sont trop marqués (plusieurs sont du tiers et du double) pour qu’on puisse les attribuer au hasard.

On a l’impression à regarder ces résultats qu’il y a deux façons d’être à la retraite : celle des hommes et celles des femmes. De plus, les activités préférées des femmes correspondent à certains stéréotypes féminins (importance des relations sociales, liens avec la famille, rôle de proches aidantes, etc.) alors que les hommes font des choix qui se rapprochent des stéréotypes masculins (maintien du lien avec le travail, sports plus compétitifs, etc.). Comme le disaient Bachant et al. en 2010 c’est encore deux sexes, deux planètes!

Un avantage pour les femmes?

Les hommes interrogés étaient moins nombreux que les femmes à utiliser les stratégies qui sont généralement recommandées par les spécialistes de la retraite : miser sur les relations sociales et familiales, les projets personnels, le bénévolat, la créativité, etc. Par ailleurs, même ces activités qui sont plus appréciées des hommes que des femmes (pratiquer un sport favori ou travailler dans un rôle semblable à leur ancienne profession) ne sont pratiquées que par une minorité d’hommes (38% et 26% respectivement). Mais alors, que font tous les autres hommes? À quoi passent-ils leur temps?

L’enquête rapporte qu’à peine la moitié des hommes voient leurs amis régulièrement contre les trois quarts des femmes. C’est un fait bien connu que la force du réseau social est un facteur déterminant pour vivre un vieillissement positif. Dans ce domaine, les femmes ressortent nettement avantagées. Qu’arrivera-t-il aux hommes qui ont surtout misé sur les relations professionnelles ou qui se sont fiés sur leurs épouses pour maintenir les liens sociaux et familiaux?

Par contre, concernant les femmes, on peut se demander si elles trouvent le temps de combler leurs propres besoins étant donné leur propension à faire du bénévolat et à se consacrer au bien-être des autres en tant qu’aidantes.  

La retraite, un monde de femmes?

Dans la petite ville où j’habite, l’Université du Troisième Âge (UTA) offre de nombreux cours aux personnes retraitées. Les femmes constituent environ les deux tiers des étudiants de 65 ans alors que les hommes et les femmes de cet âge sont à proportion égale dans la population. C’est apparemment une situation fréquente dans les organismes qui offrent des activités pour aînés : les femmes dominent toujours et ce bien avant que le nombre d’hommes n’ait commencé à diminuer à cause de leur espérance de vie moins longue.

À l’UTA, on remarque que les hommes sont plus nombreux dans les cours portant sur l’histoire, la politique, les phénomènes naturels et la science alors que les femmes prédominent dans les cours de langue et de littérature. Étant donné une clientèle plus largement féminine, on peut s’attendre à ce que les groupes qui offrent ces services misent sur un choix d’activités répondant aux intérêts des femmes, ce qui pourrait encore éloigner les hommes.

Parlons de bénévolat. Dans l’enquête du TIAA, les femmes ont 42% plus de chances d’être bénévoles que les hommes.  Comment expliquer cette différence?  Certains hommes -ceci m’a été rapporté de façon anecdotique - trouvent que la majorité des activités de bénévolat sont axées sur des rôles qui misent sur l’empathie, la communication et les relations interpersonnelles, c’est-à-dire des habiletés plus traditionnellement « féminines ». Certains se sentent mal préparés ou peu intéressés à exercer ce type de fonction. Mais peut-être aussi que certains n'éprouvent absolument pas le besoin de se rendre utiles et sont parfaitement heureux de se consacrer à eux-mêmes. (voir mon article https://lazonegrise.ca/article/etre-utile-ou-ne-pas-letre-est-ce-bien-la-question sur le besoin de se sentir utile )

Dans son livre La révolte du troisième âge (1993) Betty Friedan affirme que les hommes seraient trop engoncés dans des attitudes typiquement masculines -elle appelle cela la « mystique masculine » - pour pouvoir pleinement profiter de leur retraite. Selon Friedan, la retraite est le moment idéal pour que les femmes et les hommes explorent des rôles qu’ils n’auraient pas eu la chance d’exploiter durant leur carrière active. Les hommes pourraient découvrir leurs qualités empathiques et relationnelles et les femmes leur dynamisme et leurs talents de leader.

Je ne vais pas me prononcer sur le fondement scientifique des affirmations de Friedan car cela ouvre la porte à toute la rhétorique de ce qui est « féminin » ou « masculin », ce qui est inné ou ce qui est le résultat du conditionnement social. Quoi qu’il en soit, le livre de Friedan date de 1993 mais si on se fie aux résultats obtenus par le TIAA, il semblerait que les hommes et les femmes à la retraite suivent toujours des voies distinctes.

Quel avenir pour les hommes à la retraite?

Les données de l’enquête laissent penser que les femmes sont plus « aptes » à la retraite que les hommes mais il faut se garder de faire de telles projections. À moins de découvrir que les hommes sont généralement moins satisfaits de leur retraite comparé aux femmes, on ne peut pas conclure que la formule féminine est meilleure que celle des hommes.

En fait rien n’indique que les hommes soient plus malheureux que les femmes quand ils vieillissent. Un grand nombre d’études sur le niveau de bonheur à différentes périodes de la vie indiquent que les personnes âgées constituent généralement le groupe le plus heureux de tous les groupes d’âge. Ce niveau de bonheur diminue quelque peu à mesure que les personnes avancent en âge mais celles-ci n’en demeurent pas moins plus heureuses que les jeunes ou les personnes d’âge moyen.

Ces mêmes études démontrent que parmi les personnes âgées, ce sont les hommes qui sont plus heureux que les femmes.  À noter toutefois : la mesure du bonheur chez les hommes et les femmes âgés est influencée par le fait qu’un plus grand nombre de femmes sont veuves alors que la plupart des hommes survivants mariés ont encore leurs conjointes. Par ailleurs, les hommes qui ont vécu passé leur espérance de vie sont peut-être plus résilients (ce serait un phénomène de sélection naturelle) ou tout simplement plus heureux d’être en vie car ils ont fait mentir les prédictions démographiques!

J’en reviens toujours à ma devise : pour vivre une retraite positive ou pour vieillir sereinement, il n’y a pas à priori de formule magique ni de mauvais choix. Il faut faire ce qui nous rend heureux et ce qui nous vient plus naturellement. Ce qui est important c'est de prendre conscience des choix que nous faisons et d'en assumer les conséquences. 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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