L'occupéite, vous connaissez?

Demandez à une personne retraitée comment se passe sa retraite et les chances sont grandes qu'elle vous répondra avec fierté qu'elle est très occupée. Très, très occupée, vous répètera-t-on avec insistance en fournissant des exemples à l'appui, au cas où vous auriez des doutes sur leur emploi réel du temps. Certains vont même jusqu’à ajouter qu'ils n'ont jamais été aussi occupés de toute leur vie! Une remarque qui pourrait assurément faire rugir les parents de jeunes enfants qui pédalent sans arrêt entre école ou garderie, maison et travail. Comment en arrive-t-on à être totalement occupé quand on est à la retraite? Ou d’où vient le besoin de démontrer qu’on est aussi occupé ?

Il y a trente ans, David Ekerdt, un gérontologue américain, publiait un article dans lequel il examinait ce paradoxe : le fait que les retraités soient si occupés - ou déclarent l'être- alors que la retraite serait censée être une phase plus paisible relativement aux autres périodes de la vie. Selon lui, la retraite contemporaine a été infectée par la mentalité qui prédomine dans le travail, soit le besoin de se montrer productifs et de justifier l’utilisation de son temps. C’est ce qu’il a appelé le « busy ethic », que j’ai essayé de rendre par « occupéite ». Selon Ekerdt, plusieurs retraités éprouveraient un sentiment de culpabilité face à l’inactivité et ressentent le besoin de payer leurs périodes de loisir par des périodes productives, que ce soit le bénévolat, les travaux domestiques, les services rendus à la famille ou aux amis. Selon Ekerdt, la société s’attend à ce que les retraités continuent d’être très actifs : « La contemplation, dit-il, et l’inactivité sont très suspectes tout au long de la vie » (traduction de l’auteur). Par conséquent, ceux qui pensent ne pas être suffisamment occupés, selon les nouveaux canons de la retraite, ont tendance à prétendre qu’ils sont plus occupés qu’ils le sont véritablement ou à minimiser leurs périodes d’inaction ou de loisir pur et simple.

Certes, l’activité en soi est recommandable et nombreuses sont les études qui démontrent l’effet bénéfique de l’activité sur la santé des retraités. Toutefois, il y a une distinction à faire entre être un retraité actif et un retraité dont l’agenda est tellement rempli qu’il ne laisse plus aucune place à la spontanéité ou à la dolce vitae. À entendre ces personnes « occupées » parler on pourrait penser que leur temps ne leur appartient plus et qu’ils sont devenus les serviteurs d’un certain concept de la retraite.

D’autres spécialistes de la retraite ont parlé du syndrome de l’agenda vide, cette anxiété ressentie par les retraités face à la liberté totale et l’absence d’obligations : plus de réunions, plus de projets à compléter, plus de patron à satisfaire et donc perte du sens de la vie. Apparemment, certains compenseraient cette sensation de vide en se construisant un agenda trop plein. Un agenda rempli mur à mur d’activités excitantes.

Ce qui m’amène à un autre aspect de la mentalité contemporaine de la retraite, soit la tendance à vouloir se démarquer par des activités qui ne sont pas habituellement associées aux personnes vieillissantes : saut en bungee ou en parachute, descente de rapides, trekking au Népal, chasse à l’ours en Islande, etc. Bien entendu, si la personne retraitée est physiquement apte à ce genre d’aventure, pour quelle raison ne les poursuivrait-elle pas ? Ce serait faire de l’âgisme que de vouloir cantonner les personnes retraitées dans des activités pépères sous prétexte qu’elles n’ont plus 40 ou 50 ans ! Comme on le dit souvent, soixante ans est le nouveau cinquante ans, soixante-dix, le nouveau soixante et ainsi de suite.

Toutefois, il existe un danger et c’est celui de vouloir associer le vieillissement réussi à la poursuite de ce type d’activités. En réalité, le vieillissement réussi- et donc, la retraite réussie- consiste à devenir plus profondément ce que nous sommes déjà. Ainsi, la personne qui possède un fond d’énergie créatrice sera libre de l’exploiter à loisir durant sa retraite. Celle qui désire se plonger dans la lecture ou les activités reposantes – marches dans la nature, promenades en kayak sur des eaux calmes-pourra le faire. On peut aussi vouloir explorer des domaines inconnus et ainsi enrichir notre expérience de vie. Dans tous les cas, que nous décidions de rester sur nos bases ou d’explorer, c’est crucial au moment de la retraite de savoir qui nous sommes et de pouvoir identifier ce qui rendra notre retraite, non pas productive, mais heureuse et harmonieuse.

Dans son livre sur la retraite intitulé « The New Retirementality » (La nouvelle mentalité de la retraite : traduction de l’auteur), Mitch Anthony présente le concept de « l’Attitude personnalisée à la retraite ». Anthony, comme tous les autres spécialistes de la retraite, prône l’engagement actif des retraités mais dans le même souffle, il cautionne aussi ceux-ci contre l’influence des diktats de la société. La recommandation d’Anthony : Connaissez-vous vous-même et établissez vos priorités et objectifs selon vos besoins et non selon ce que la société voudrait que vous fassiez. Sur ce, permettez-moi d’aller faire un petit somme.  

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

7 commentaires

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    J’ai bien aimé cet article que j’ai reçu un peu comme une invitation à envisager la retraite a l’imagine de ce que je suis. L’article est intéressant du fait qu’il nous prévient d’un piège qui nous attend si nous ne sommes pas vigilant, c’est-à-dire le désir de continuer à correspondre à un modèle ou à une pression sociale - tout comme on l’a fait pendant une partie de notre vie en raison du travail. J’aspire à une liberté et j’espère que j’y arriverez .... dans 2 ans . Merci et au plaisir de vous lire Danielle.

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    Jacques Garant31/10/2020 à 09:46:38

    Un problème est que l'hyperactivité ou l'activisme auxquels nous nous sommes adonnés pendant si longtemps nous ont fait perdre contact avec ce que nous sommes car nous avons été pris dans la tempête et qu'il fallait aller de l'avant coûte que coûte.Ce n'est donc pas évident de reprendre contact avec ce qui nous définit car on s'est toujours défini par ce qu'on faisait, produisait,gagnait, en grande partie pour dorer son étoile ou impressionner les autres. Une étape de réflexion sinon de méditation est nécessaire pour se retrouver et voir où on veut aller avec ce qui nous reste.La réponse n'est pas dans un manuel. Changer un type d'hyperactivité pour un autre ne sert qu'à s'étourdir et s'illusionner ( je n'ai pas vieilli, je fais plein d'affaires ! ).

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    Sympa ton néologisme. Tellement vrai qu’avec la retraite du travail, le plus difficile est de choisir les occupations et les non- occupations qui nous font plaisir.

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    Danielle Ferron03/11/2020 à 10:36:35

    Merci à tous pour vos commentaires. Ils sont très appréciés et cela enrichit la discussion que j'espère pouvoir maintenir. Malheureusement, cet instrument ne me permet pas de répondre à chacun individuellement, ce que j'aurais aimé pouvoir faire.

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    Francine Lalonde05/11/2020 à 12:05:32

    J’ai un agenda assez rempli malgré la pandémie, mais je ne souffre pas d’occupéite. Depuis ma retraite il y a 8 ans, j’ai tout simplement changé de tempo. Je fais ce que j’ai à faire mais plus lentement. J’ai aussi « lever le pied » en conduisant car, d’une part, je suis toujours à l’heure et parfois en avance et, d’autre part, je n’ai pas de contravention pour excès de vitesse! Mon agenda (car j’écris tout dans mon agenda IPad) est plus aéré et j’aime ça. Pour moi, ma révélation a été ce changement de rythme et je pense que c’est mieux pour ma santé et mon équilibre!

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    Suzanne McMullen06/11/2020 à 14:03:46

    J’ai énormément aimé ce blogue! Je crois que grand nombre de retraités peuvent facilement se reconnaître dans ces réflexions. Non seulement est-ce difficile de mettre priorité à qui nous sommes, il faut d’abord essayer de nous souvenir de qui nous étions avant notre existence où nous nous identifions par le rôle que nous avions adopté au travail et qui souvent comblait au-delà de 100% de notre temps. Tout en cherchant un équilibre d’activités physiques et mentales, en groupe ou isolées, nous essayons de choisir ce qui nous intéresse, nous est agréable et suit notre vision spirituelle personnelle, qu’elle qu’elle soit. Une fois ce défi atteint, il est aussi important de ne pas remplir notre agenda au point où la spontanéité y est éteinte. Cet aspect est difficile à reconnaître et remédier particulièrement par les personnes du type A... Ça fait du bien de savoir que nous ne sommes pas seul(e)s dans notre situation et que nous continuons toujours dans notre évolution personnelle. Merci de partager ce blogue, Danielle. Très apprécié! Suzanne (sœur de Diane)

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    Michèle Salvail03/06/2021 à 15:26:38

    Quelle bonne idée que ce blog de réflexion sur là où un nombre de plus en plus grand d'entre nous sommes rendus. Merci Danielle de cette initiative...qui nous fait réfléchir.

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