Testament

Signe des temps, le dernier film de Denys Arcand, intitulé Testament se déroule dans une maison de retraite. Jusqu’à présent, les films ayant la maison de retraite pour contexte faisaient plutôt dans le style loufoque : les petits vieux ont leurs petites habitudes ridicules, leurs mesquineries, leurs amours, etc. Je pense entre autres au film de Dustin Hoffman, Quartet, où des musiciens à la retraite s’échangent vacheries et mufleries. Bien que le film d’Arcand contienne sa part de loufoquerie, (la scène de remise des prix en est presque embarrassante), il ne tombe pas pour autant dans la bêtise car il pose un regard à la fois tendre et lucide sur la vieillesse.

On n’est pas dans la misère des résidences vétustes ici. C’est une résidence cossue aménagée dans un ancien couvent. Tout est élégant et raffiné; les couloirs sont larges, les appartements ont de grandes fenêtres et de hauts plafonds. Il n’en reste pas moins qu’une odeur d’ennui et de tristesse suinte des murs. Si on pense au Déclin de l’empire américain qui se situait dans une magnifique maison au bord du lac Memphrémagog, on a l’impression qu’Arcand a voulu fermer une parenthèse. D’un côté, la grande maison de campagne où la jouissance s’obtenait par tous les sens (gastronomie, alcool, littérature, sexe et pratiques SM) et de l’autre, la maison de retraite, où ce sont des plaisirs sages et discrets (par exemple, un concert de piano donné par un des résidents) qui viennent agrémenter le quotidien.   

Dès le début du film, le personnage principal, Jean-Michel nous apprend qu’il ne s’intéresse plus à rien et bien qu’il n’ait que 70 ans, il se demande déjà comment il va passer les dernières années qu’il lui reste. Devant le nombre d’années qui diminue, il ne cesse de se dire qu’il devrait en profiter mais profiter de quoi, exactement? Il ne s’est jamais marié et n’a pas eu d’enfants. Plusieurs besoins l’ont quitté : l’amour romantique, la faim sexuelle, le désir de paraitre (il était écrivain), le désir de se battre pour une cause, le désir de gagner. En entendant les paroles de Jean-Michel -qui ne sont pas dites sur le ton du désespoir mais plutôt sur celui de la constatation et de l’acceptation- j’entendais en même temps ce mantra contemporain qui nous dit sans cesse qu’il faut rester ‘’jeune’’, garder ‘’l’esprit jeune’’! Comme si garder ’’l’esprit jeune’’ ou au contraire, se laisser aller à avoir l’esprit ‘’vieux’’ était le résultat d’un acte voulu, d’un abandon délibéré. Or, à mesure que nous vieillissons, de grands pans de ce que nous avons été dans le passé, de ces choses auxquelles nous tenions et qui nous ont nourris pendant toutes ces années, ces choses nous quittent sans crier gare et sans nous demander ce que nous en pensons. Je pense à Donald Hebb, chercheur de renommée internationale dans le domaine de la mémoire qui disait ceci : « Pendant 35 ans, mes recherches ont représenté l’intérêt majeur de ma vie. Je travaillais six jours par semaine. Aujourd’hui, le besoin dévorant de manipuler des idées et des données ne me tenaille plus. Dans l’ensemble, je suis désormais spectateur » (Hebb, 1979).

La disparition de certains besoins et de plaisirs et la perte de sens qui en résulte nécessitent un réajustement perpétuel de nos sources de satisfaction. C’est un délicat pas de deux qu’on doit accomplir entre ce qui nous convient encore, ce qui ne convient plus, entre ce qui nous continue de nous allumer et ce qui ne sert plus, sauf à donner le change à ceux qui veulent nous voir encore ‘’jeunes’’.  Le dilemme de Jean-Michel -à quoi maintenant consacrer sa vie et comment en obtenir de la satisfaction et peut-être même avec un peu de chance, du plaisir ? - m’est apparu poignant et oh! combien réel car il exprime justement cette lassitude qui peut venir quand on a eu une vie bien remplie. L’exhortation à ‘’rester jeune’’ me semble procéder d’un jeunisme qui cherche à gommer les effets réels de la vieillesse et ne fait que mettre en évidence la distance entre ce que nous sommes devenus -sans que nous y ayons nécessairement consenti- et ce que la société pense que nous devrions être.

Dans sa satire des dérives de la société contemporaine, Arcand tire sur tout ce qui bouge : questions liées au genre, rectitude politique, féminisme hargneux, ‘’wokisme’’ exacerbé, censure et culture de l’effacement. Jean-Michel assiste, médusé et amusé, à ces revendications et manifestations.  Il se sent détaché du présent et de ses enjeux, ne pouvant faire sienne les préoccupations de l’heure. Il ne condamne pas mais il ne comprend pas non plus. Il regrette l’état actuel des choses, sans pour autant tomber dans la nostalgie. Quand on lui demande si selon lui, on était plus heureux avant, il répond que non, on ne l’était pas, mais que nous ne le sommes pas plus maintenant.

J’imagine que le film a dû susciter des réactions vives dans certains milieux et qu’on ait pu accuser Arcand de se comporter en dinosaure. D’autre part, certains spectateurs âgés ont trouvé que le film disait tout haut ce que nous, les vieux, pensons tout bas. Je ne vais pas ici faire le procès de ces revendications, que ce soit la question de l’identité liée au genre, ou le ‘’wokisme’’ et la culture d’effacement qui l’accompagne. La question qui me préoccupe c’est plutôt le droit des personnes âgées d’être sceptiques, de ne pas comprendre et de ne pas suivre sans passer pour des fossiles abrutis.

Dernièrement, j’ai donné une conférence sur la question de la pertinence – comment les personnes âgées peuvent garder leur pertinence face au monde extérieur et face aux générations plus jeunes. J’ai aussi traité de cette question dans cet article : https://lazonegrise.ca/article/rester-pertinents  La question était : comment rester pertinent aux yeux des autres quand tout change autour de nous et que nous, nous ne changeons pas nécessairement? Le monde évolue vite et quelquefois, on peut rester surpris dans le tournant.

À cet égard, l’attitude de Jean-Michel reste exemplaire. Fait à noter, il y a une distance dans le film entre d’une part, la satire d’Arcand qui est féroce et ne fait pas de quartier et d’autre part, l’attitude de Jean-Michel qui en est une de compassion et désir de comprendre. La posture de Jean-Michel serait-elle celle qui vient de la maturité : rester sympathique tout en étant sceptique? Il me semble que le scepticisme est une qualité presque inéluctable du vieillissement. On en a déjà assez vu, notre vue est plus longue et plus large de sorte que les mouvements qui se font dans l’urgence, l’exclusion et l’hyperbole nous semblent tous suspects et voués à disparaître. Tout passe. Serait-ce cela, la sagesse? Et pourtant, ce petit pas de côté que nous faisons, cette hésitation à entrer dans la danse et qui pourrait être un signe de sagesse, risque-t-elle justement de nous faire passer pour des esprits bornés? En d’autres mots, la sagesse des aînés dont on ne cesse de nous affubler, cette sagesse ne serait acceptable que si elle conforte les plus jeunes dans leurs croyances?  Allez savoir!

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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