Des films pour seniors

Dernièrement, je suis tombée sur une critique du film français Les beaux jours avec Fanny Ardant et Patrick Chesnais. Le critique -sans doute un jeune- décrétait que c’était un « feel good movie gérontologique ».  Nonobstant la qualité- bonne ou mauvaise- du film, sa critique pouvait se résumer dans cette seule épithète : un film gérontologique! Donc, un film sans intérêt pour les moins de 60 ans. Apparemment, un film se discrédite de lui-même en parlant de questions qui concernent les vieux.

Je n’avais jamais vu l’expression « film gérontologique » auparavant mais j’ai tout de suite pensé aux films qu’on montrait au cinéma de la résidence où mes parents ont passé quelques années. Des comédies loufoques, des films historiques, des mélodrames, des comédies musicales. De l’action (modérée), oui, mais pas de violence et surtout pas de sexe!  Il ne faudrait pas que Papy ou Mamie s’étouffent dans leur popcorn! On peut comprendre toutefois que les résidences doivent ménager les sensibilités des pré baby-boomers -les 80 ans et plus- qui constituent la majorité de leur clientèle et dont les attitudes se sont formées dans les années cinquante et soixante.

J’ai quand même voulu savoir si la catégorie « films pour seniors » ou « films gérontologiques » existait comme les « teen movies » ou les « chick flicks ». Eh oui, il existe une pléthore de sites Internet offrant une sélection de films choisis en fonction des goûts supposés des vieux spectateurs. Sans surprise, on n’y trouve pas les frères Coen, ni Coppola, Scorsese, Fellini, Almodovar (Tarantino, no, no!); bref, tous les cinéastes qui ont quelque chose d’important, de profond ou de dérangeant à dire sont absents. On évite également les films qui parlent de la maladie, de la mort ou de questions sociales telles que l’homosexualité.  Si on enlève aussi la violence et le sexe, que reste-il? Ce qui reste est l’équivalent cinématographique de la nourriture servie dans les résidences : fade et sans couleur mais facile à digérer.

Si on se fie à la sélection des films présentés dans ces sites, cela laisse penser que les personnes âgées deviennent allergiques à la réalité ou hypersensibles aux choses difficiles qu’on voit dans les films réalistes. Comme si les personnes âgées n’avaient pas connu elles-mêmes des expériences difficiles et ne savaient pas de quoi il retourne.  A-t-on vraiment étudié les goûts des personnes plus âgées pour procéder à cette sélection insipide? J’en doute fort car je n’ai rien trouvé sur le sujet. [1]

Je n’ai pas non plus trouvé d’études portant sur l’évolution de l’appréciation culturelle avec l’âge. Ce serait intéressant de savoir si les vieux deviennent plus conservateurs et moins ouverts aux nouvelles expressions culturelles. Est-ce que nous restons toujours accrochés aux produits culturels que nous avons connus dans notre jeunesse? Si c’était le cas, ce serait aller dans le sens des stéréotypes sur la vieillesse, c’est-à-dire que le goût culturel chez les vieux n’évolue pas et qu’ils ne peuvent apprécier les nouveautés culturelles. Je n’ai rien pour le moment pour me prononcer sur ce sujet. Vos goûts en matière de culture ont-ils changé? Écrivez-moi là-dessus et j’en saurai peut-être un peu plus.

En ce qui concerne le cinéma, les statistiques de fréquentation des salles nous donnent quelques indications sur les goûts des personnes plus âgées. [2]  On sait que depuis les années 70, les personnes de plus de 45 ans ont été moins nombreuses à passer la soirée au cinéma. Mais les chiffres des dernières décennies indiquent que les seniors sont en train de faire un retour en force dans les salles obscures. Selon une étude effectuée par le Centre National du cinéma et de l’image animée en France, la proportion de seniors dans les salles de cinéma est passée de 18% en 1998 à plus de 33% en 2013 alors que la proportion de spectateurs de moins de 25 ans a diminué passant de 44% à 31%. Dans un article publié dans le Guardian en 2012, David Cox avance que les amateurs de cinéma plus âgés seraient en train de sauver le grand écran délaissé en masse par les plus jeunes au profit du numérique sur commande.

Quel type de cinéma recherchent ces cinéphiles aux cheveux blancs? Selon Cox, les seniors qui vont au cinéma ne recherchent pas nécessairement les films gentils ou consensuels. Apparemment, ils recherchent les films qui ont de la consistance : pas nécessairement légers ou amusants mais plutôt chargés de sens. Ils aiment les dilemmes moraux et les scénarios d’inspiration historique ou sociale comme Made in Dagenham, par exemple, un drame portant sur la grève des ouvrières du Ford Dagenham en 1968 pour obtenir l’équité salariale. Les seniors aiment les personnages complexes : pas de stéréotypes ni de clichés faciles s’il-vous-plaît! J’ose penser que leur expérience de la vie les rend moins tolérants face aux visions simplistes.

Selon Cox, les spectateurs âgés apprécient les films qui portent sur la maturité et les passages de la vie mais ils ne sont pas particulièrement friands des films sur la vieillesse. Quoi qu’il en soit, on peut constater que l’âge et le vieillissement sont devenus des sujets acceptables et cela même quand il s’agit de films dramatiques. À preuve la popularité de films tels que Les Invasions barbares de Denys Arcand (1.3 millions d’entrées en France) un film qui parle de maladie, de mort et de relations intergénérationnelles. Bien entendu, parmi les films sur les vieux, ce sont les comédies légères qui continuent de dominer dans le nombre d’entrées mais ce qui est différent c’est que les questions reliées à l’âge et au vieillissement ne font pas systématiquement fuir les spectateurs, quel que soit leur âge. Au contraire, le film Amour de Haneke (où un mari finit par tuer sa femme atteinte de démence) a récolté plus d’un demi-million d’entrées en France seulement et ses recettes ont fait trois fois son budget.

Quoi qu’il en soit, les distributeurs de films ont compris que si les baby-boomers allaient constituer le groupe le plus important à fréquenter les salles de cinéma, il valait mieux leur donner ce qu’ils aiment pour qu’ils continuent de venir. On peut donc espérer voir une offre plus intéressante de films faits pour attirer un public plus mature.

On peut aussi s’attendre à voir de plus en plus de films qui parlent de vieux et de vieillesse. Cela représente un glissement tectonique dans le monde du cinéma qui jusqu’à tout récemment n’en avait que pour les jeunes et la jeunesse. Ce changement n’est pas dû uniquement au désir des producteurs de plaire à un public plus âgé; il y a aussi le fait que les cinéastes eux-mêmes ont vieilli. Et leurs acteurs préférés ont vieilli en même temps qu’eux. Il y a une énorme cohorte d’acteurs de premier niveau ayant atteint un certain âge et qui ne sont pas prêts à jeter la serviette.  Ce n’est pas demain que les de Niro, Depardieu, Lucchini, Julianne Moore, Meryl Streep ou Isabelle Huppert vont accepter de se faire reléguer aux oubliettes. Il semble que l’auréole de ces stars, même vieillies, est encore suffisamment brillante pour faire tourner les caméras et tinter les tiroirs-caisses.  Le critique de Les beaux jours peut aller se faire moucher : il faudra qu’il s’habitue à faire la critique des films gérontologiques, « feel good » ou pas.

[1] J’ajoute un petit bémol ici : des études ont démontré que les personnes âgées pourraient éprouver des difficultés à intégrer rapidement des informations changeantes ou contradictoires, ce qui réduirait leur capacité à suivre des scénarios complexes, dans le style espionnage par exemple. Par conséquent, il se peut que les résidences soient bien avisées de montrer des films moins complexes, au moins pour une partie de leur clientèle.

[2] Malheureusement, les analyses effectuées par les distributeurs n’ont qu’une seule catégorie qui englobe tous les spectateurs plus âgés et elle commence à 55 ans et même souvent à 45 ans. Par conséquent, il n’y a pas moyen d’avoir des données spécifiques sur les plus de 60 ans.

Références

Jacques Mendelbaum. Les seniors, acteurs du cinéma, Le Monde, 4 juillet 2013

David Cox, How older viewers are rescuing cinema. The Guardian, 8 mai, 2012

Nick Clark. Rise of the silver-haired screen: Older people take largest share of cinema audiences. The Independent, 24 juillet, 2013

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

1 commentaire

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    Jacques Dupont08/04/2021 à 11:55:28

    Je ne m’étais jamais vraiment posé la question, à savoir si mes goûts en cinéma évoluaient avec l’âge. Grâce à toi, c’est chose faite. Je ne pense pas. La question de la fréquentation physique des salles, c’est autre chose. COVID oblige, si je me prive d’un repas entre amis ou d’un bon spectacle, je ne vais pas aller risquer le tout pour le tout dans une salle de cinéma à l’air raréfié ou malsain. Et puisqu’il existe cette féroce concurrence d’un salon bien confortable, avec toilette à proximité, équipé d’une électronique de pointe, pour savourer, en HD, avec des chips pas trop loin ou un bon verre de vin, les meilleures productions d’hier et d’aujourd’hui, au moment de votre choix, seul, en famille ou entre amis... pourquoi ne pas en profiter. Difficile à battre, à tout âge. Mais surtout, je pense qu’il en est du cinéma comme de la musique et de la littérature. Si vous avez toujours apprécié aller à l’encontre de l’autre ou d’un ailleurs, cela risque bien de durer jusqu’au bout. Par contre, si vous avez préféré ne pas trop vous aventurer en dehors de ce que vous connaissiez déjà, qui vous rassure toujours un peu, il n’y a aucune raison pour que cela change non plus au cours des ans. Avec mon petit bémol moi aussi cependant. Je note que chez pas mal de "petits vieux", on se dit aussi que si nous avions eu accès plus jeunes aux connaissances disponibles aujourd’hui...nous aurions sans doute été plus téméraires et moins niaiseux. Petit point technique relatif à ta note [1] (J’ai travaillé en cinéma et télévision): je note depuis quelque temps des montages particulièrement audacieux (ou baclés), notamment pour des productions de type série polar et à suspense. Je m’y suis perdu à quelques reprises...et retrouvé avec quelques reprises instantanées, gracieuseté de Cogeco. Le "flashback" est une technique cinématographique qui a fait ses preuves, mais quand on le mélange à tout bout de champ avec des "flashfront", tout aussi fréquents...bon, c’est peut-être l’âge, après tout! Quand même, je ne sais pas vraiment s’il s’agit d’un bon exercice anti perte de mémoire, ou d’une initiation à la paranoïa. Quant à la diffusion en maisons de retraite, si je faisais partie de cette clientèle, j’apprécierais des programmations thématiques: humour, suspense, voyages, romance, science-fiction, histoire, musique, vintage, avant-garde etc. Rien de basé sur l'âge en particulier. Il y a des jours pour un bon De Funès et d’autres pour Tarkovsky. Par ailleurs, si je n’avais regardé que des films pour adolescents à cette époque de ma vie, et suivi le même modèle de sélection plus tard, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui; pour le pire ou le meilleur!

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