Et que faire de tout ce temps….

La productivité, pas pour moi, merci!

Il y a quelques années, une publication pour retraités à laquelle je suis abonnée avait sondé ses lecteurs pour savoir quelle était la proportion du temps de leurs journées qu’ils estimaient être « productif »? Hein, productif? Durant l’entièreté de nos vies de travail, nous avons été encadrés par des mesures visant la productivité et l’efficacité. Et maintenant que nous sommes à la retraite, il faudrait encore nous parler de « productivité »? J’étais tellement indignée que j’avais renversé mon cappuccino sur mes mots croisés.

Pour jouer le jeu de cette publication (qui restera anonyme), j’ai demandé à quelques retraités comment ils définiraient la notion de productivité à la retraite. Le consensus était : « On est productifs quand un résultat concret découle de notre activité : par exemple, préparer son rapport d’impôt, faire le ménage, laver ses vêtements, amener notre animal domestique chez la vétérinaire, etc. Essentiellement, les activités qui sont nécessaires et qui ne visent pas le plaisir. Donc, les activités de loisir ne seraient pas productives. Et pratiquer un sport, est-ce productif? Et les activités sociales? Il me semble qu’un des bienfaits de la retraite c’est justement que la ligne de démarcation entre « productif » ou « non productif » s’estompe complètement. Ce qui me fait plaisir ou ce qui m’instruit est forcément productif; et plusieurs de mes activités productives (comme écrire ce blogue) me procurent du plaisir.

La productivité est une notion pertinente en milieu de travail où on attend des résultats mesurables et observables. Si je m’objecte aussi vigoureusement à la question posée par le magazine, c’est parce qu’elle implique une évaluation de nos activités de retraités en termes de résultats comme si nous étions au travail : ais-je été suffisamment productive aujourd’hui? Dans le contexte de la retraite je trouve que c’est une notion maléfique, invoquée par des esprits chagrins qui n’ont rien compris à la retraite.  Notre façon d’utiliser notre temps à la retraite doit être définie selon des concepts qui ne font appel ni à la productivité ni aux résultats concrets.

Soyez actifs! nous dit-on…

Eh bien si ce n’est plus nécessaire d’être productifs, on devrait au moins être actifs, n’est-ce-pas?  La retraite « active », c’est le nouveau mantra des spécialistes de la retraite. Tous les livres sur la retraite et sur le « bien vieillir » nous conjurent de rester actifs, c’est la voie royale de la santé mentale et du vieillissement positif. Janette Bertrand se vante du fait qu’à 96 ans, elle n’a pas ralenti d’un iota! Mais pour nous, retraités ordinaires, à partir de quel moment sommes-nous actifs? Qu’est-ce qu’être actif?

Je me souviens de mon étonnement quand mes parents, qui étaient alors septuagénaires, nous avaient fait comprendre que, dès le moment qu’ils avaient un rendez-vous médical ou qu’ils allaient faire l’épicerie, leur journée était complète.  Aucune autre sortie n’était possible cette journée-là. Et pourtant, ils étaient encore en pleine forme sans aucun signe de ralentissement notable.  J’espérais ne jamais atteindre le moment où j’imposerais de telles limites à ma journée, du moins pas avant le 4e âge.

Pourtant, la pandémie m’a forcée à faire à peu près la même chose que mes parents: étant donné le peu d’activités permises, j’ai décidé d’ancrer mes journées autour d’un seul objectif par jour (ou une sortie par jour) en dehors de notre marche et du traintrain quotidiens. Ces objectifs sont souvent très modestes : gérer les comptes, faire une recette plus élaborée, aller à la pharmacie. Un seul objectif spécifique par jour a suffi pour me donner l’impression d’avoir une vie active. Bien entendu, durant cette pandémie, je me suis férocement ennuyée de mes enfants, des contacts sociaux et des activités que j’aime : natation, cinéma, restaurants, etc. Toutefois, la réduction dans le nombre d’activités ne m’a pas causé de problème particulier. En fait, je me sens moins éparpillée entre toutes sortes de désirs de faire ceci ou cela, ma concentration s’est améliorée de même que ma capacité de cibler les priorités.

Cela me ramène à ma question posée un peu plus haut : de combien d’activités avons-nous besoin pour rester « actifs »? Les gériatres qui veulent connaitre le niveau d’activité d’un patient ont pour pratique de demander au patient combien de contacts ou de rencontres sociales il a par semaine. La prémisse est que le nombre d’activités sociales ou de rencontres est une indication du niveau d’activité et donc de la qualité de vie en général.

Or, la recherche a déterminé que, si le fait d’être actif augmente les chances d’être heureux, il n’y a pas de corrélation entre degré d’activité et degré de satisfaction de la vie. En 2006, trois chercheurs ont examiné des résultats d’une enquête de Statistique Canada afin de mesurer le degré de corrélation entre niveau de santé, niveau d’activité et degré de satisfaction et ils ont conclu ceci : « Il n’y a pas de formule idéale pour bien vieillir » (…) Le fait de bien vieillir ne se limite pas à des degrés élevés de participation. Les Canadiens plus âgés qui vieillissent bien sont en mesure de trouver un équilibre entre leur niveau d’activité, leur situation et leurs ressources ». (Stobert et al, 2006)

Les mots-clés ici sont : « Sont en mesure de trouver un équilibre ». Le degré de satisfaction proviendrait d’un équilibre qu’on établit soi-même et pour soi-même. Jean-Luc Hétu (2016) souligne que le nombre d’activités peut baisser sans que la satisfaction en soit affectée. D’autres chercheurs ont trouvé que les personnes âgées peuvent regretter certaines activités qu’elles ont dû abandonner mais ne pas s’en trouver malheureuses pour autant. Heureusement, car il va forcément arriver un moment où nous aurons à réduire notre niveau d’activité. La pandémie aura eu cet effet mais éventuellement, ce pourrait être la maladie, l’incapacité ou les difficultés logistiques qui nous mettront des bâtons dans les roues.

Hétu met aussi l’accent sur le fait qu’une activité doit avoir un sens, une signification personnelle si elle doit contribuer à notre satisfaction. Il faut se demander si telle ou telle activité contribue réellement à augmenter notre degré de satisfaction et de quelle façon. Cela demande une réflexion continue sur le sens de nos activités et leur impact sur nous.

Étant donné que ni la productivité ni le degré d’activité ne sont des notions recommandables pour bien utiliser son temps de retraite, sur quoi devrait-on axer nos efforts?  Les psychologues se sont penchés sur cette question et ont découvert que certains types d’activités sont plus aptes à apporter un degré de contentement élevé. Le prochain article traitera justement de ce sujet : comment insuffler du sens à nos journées?

Je termine sur ce dialogue imaginé par Montaigne :

-Je n’ai rien fait d’aujourd’hui.

-Quoi? N’avez-vous pas vécu? C’est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de vos occupations.

Je vous souhaite une journée bien vécue!

Références

Jean-Luc Hétu (2016) Psychologie du vieillissement. GroupÉditions Éditeurs Montréal Québec

S. Stobert, D. Dosman, & N. Keating (2006) Bien vieillir. L’emploi du temps des Canadiens âgés. Statistique Canada.

 

 

 


 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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