Cette supposée sagesse des vieux

Des hommes à barbe blanche

Vite, vite, si on vous dit le mot « sage », quelle image vous vient à l’esprit? Les chances sont assez élevées que vous imaginiez un vieil homme avec une barbe blanche. En effet, nous associons tout naturellement sagesse et vieillesse. La figure du vieillard sage est un des plus vieux mythes de l’histoire humaine. Pensez au roi Salomon, à Confucius et Socrate; dans le monde de la fiction, nous avons Panoramix, Dumbledore et Gandalf; sans oublier nos sages à nous, bien réels ceux-là, comme Hubert Reeves et Serge Bouchard.

Puisque le mot « sagesse » évoque immédiatement l’image d’une vieille personne, est-ce parce que nous devenons sages en vieillissant?  Y-a-t-il plus de personnes sages parmi les personnes âgées? On voudrait bien le croire car ce serait rassurant de savoir qu’éventuellement, nous pourrions aussi atteindre la sérénité et le détachement qui nous aideraient à mieux passer ces dernières années de vie.

Qu’est-ce que la sagesse?

La sagesse, c’est une perception, une étiquette qu’on colle sur une personne. Sur une personne qui nous impressionne par des paroles ou des actions qui nous apparaissent empreintes de…sagesse. C’est une définition totalement circulaire. La sagesse échappe à toute définition : les paroles d’un gourou qui paraissent sages à l’un pourraient sembler vides et superficielles aux oreilles d’un autre.

Les psychologues ont tenté de cerner la sagesse et de nombreuses définitions ont été proposées, toutes contenant une parcelle de vérité. Je vous donne ici celle que je préfère qui a été proposée par Ardelt en 2000 (voir le lien dans les références). Selon elle, la sagesse implique trois dispositions : 1) la capacité à voir la vérité ou la réalité comme elle est vraiment, (2) la réflexivité, qui permet d’être conscient de sa subjectivité et de ses projections et (3) l’empathie et la compassion pour autrui. Notez qu’il s’agit ici des capacités qui facilitent l’accès à la sagesse mais on n’a toujours pas défini ce que serait la sagesse. Mais, une chose est certaine, en général, on est d’accord sur ce que la sagesse n’est pas. On sait reconnaitre un imbécile.

Il n’y a pas de pénurie de vieux fous et de vieilles folles

À l’évidence, nous savons que tous les vieillards ne deviennent pas sages. Nous avons tous connu des personnes âgées qui ne sont absolument pas sages, des « old fools » comme on dit en anglais (je préfère « old fools » à « vieux fou » parce qu’il évoque l’obstination stupide plutôt que la maladie mentale). Les vieux de Shakespeare et Molière sont rarement sages; ils sont presque toujours malcommodes, butés, colériques, avaricieux ou ridicules parce qu’amoureux de jeunes filles. Ou carrément fous comme le Roi Lear. Évidemment, la présence dans la littérature de ces « old fools » ne constitue pas une preuve que les vieux ne sont pas sages, mais cela démontre au moins que les exemples de vieux schnoques n’ont jamais été rares.

Il y a de nombreux indices qui démontrent que les personnes âgées ne sont pas plus ouvertes ou tolérantes que leurs cadets. Les prises de position racistes, sexistes, homophobes ou anti-aborigènes ne sont pas moins présentes parmi les personnes âgées que chez les jeunes. Or, on ne peut s’imaginer que ce type d’opinion puisse cohabiter avec la sagesse.

Petite parenthèse ici : les comparaisons entre générations sont dangereuses car elles captent à la fois les différences qui sont dues à l’âge et celles qui sont dues à l’appartenance à une cohorte donnée. Si on voulait démontrer que les gens deviennent plus ouverts et plus tolérants en vieillissant, il faudrait suivre une génération (ou une cohorte) sur des décennies et démontrer qu’à travers le temps, leurs opinions ont évolué vers une plus grande tolérance.

Dernièrement, on nous a révélé le phénomène de l’intimidation dans les résidences pour personnes âgées. On parle ici de l’intimidation par les personnes âgées envers d’autres personnes âgées. Le problème semble être suffisamment répandu que l’AQDR a cru bon publier un guide pour gérer les cas d’intimidation dans les résidences ou dans les autres milieux où les personnes âgées se rencontrent. Apparemment, certaines personnes âgées n’ont pas acquis beaucoup plus de maturité qu’elles en avaient dans la cour de l’école primaire. En tout cas, si le phénomène est répandu (on n’a pas de données précises à ce sujet), cela ne pointe pas dans la direction d’une augmentation de la sagesse individuelle ou collective parmi les aînés.

Mesurer la sagesse

Au-delà de l’anecdotique, il existe plusieurs indications scientifiques que la sagesse n’est pas l’apanage des vieillards et qu’elle n’est pas plus répandue chez les vieux.  Étant donné la difficulté de définir la sagesse, peu d’expériences scientifiques ont porté sur ce sujet. Toutefois, quelques-unes de ces expériences sont décrites dans le livre Aging Well de Georges E Vaillant (2003). Ce qu’on peut conclure de ces expériences est que, dans des tâches censées mesurer la sagesse (ou le bon jugement), les personnes âgées n’ont pas eu une performance supérieure à celle des jeunes. Dans certaines tâches particulières, toujours censées mesurer la sagesse, ils avaient même des scores inférieurs aux jeunes. Par conséquent, quand on essaie de mesurer la sagesse de façon scientifique, les résultats ne sont pas nécessairement en faveur des plus âgés.

On ne change pas vraiment

C’est possible que la sagesse ne soit pas vraiment mesurable et que, par conséquent, les résultats d’expériences en laboratoire soient dus à la méthodologie. Toutefois, l’idée que les gens deviennent plus sages en vieillissant va à l’encontre de toute la recherche sur le développement de la personnalité qui démontre que nous conservons plus ou moins la même personnalité tout au long de notre vie. Certes, beaucoup apprennent à tempérer, moduler et contrôler les aspects plus problématiques de leur personnalité. L’essence de notre personnalité ne change pas, c’est juste que nous savons mieux comment négocier avec elle.  Il y aura prochainement un article sur l’évolution et la constance de la personnalité en vieillissant.

Trop divers pour être tous sages

J’ai déjà élaboré sur la question de la diversité chez les personnes âgées. Aucune généralisation ou stéréotype ne tient quand on parle des aînés. Cette grande variabilité exclut d’emblée l’idée qu’il y ait un mouvement général des vieux vers une plus grande sagesse-comme des moutons cheminant vers l’estive. Voici ce qu’en dit Jocelyne Robert dans Vieillir avec panache : « …il y a des crétins aussi chez les vieux et ce segment de la population est composé d’une diversité d’êtres humains qui, mises à part l’épaisseur des années d’existence accumulées sont en tous points semblables aux autres groupes d’âge : des individus uniques, différents les uns des autres. Il y a parmi les Silencieux et les Boomers, des personnes d’une rare valeur et de parfaits imbéciles. Ni plus ni moins, toutes proportions gardées, que chez les X, les Y ou les Z, ces générations de 60 ans ou moins. »

Les sages sont toujours vieux

S’il est vrai que les vieux ne sont pas toujours sages, par contre, les personnes qui ont la réputation d’être sages sont toujours vieilles. Pourquoi? Selon plusieurs auteurs, ce serait parce qu’on a de la difficulté à reconnaitre la sagesse chez les personnes encore jeunes.  Certaines personnes possèdent tôt dans leur vie des qualités en lien avec la sagesse mais dans le tohu-bohu de l’âge adulte, ces qualités pourraient ne pas être valorisées ni même reconnues.  

Qui donc sont les sages? Parmi les personnes âgées, il y en a que nous aimons particulièrement écouter. Elles ont conservé une bonne mémoire, elles possèdent une verve naturelle, et avec un peu de chance, elles ont aussi le sens de l’humour. Souvent mais pas nécessairement, elles possèdent des connaissances étendues dans certains domaines. Quand on rencontre des aînés comme ceux-là, on a tendance à les trouver sages parce que nous aimons ce qu’ils nous disent. Ils nous inspirent et nous rassurent sur le destin des personnes âgées. Ils nous renvoient une image idéalisée de ce que nous aimerions être nous-mêmes quand nous serons rendus là. Ils sont donc sages.

Loin de moi l’idée de nier que des personnes comme Hubert Reeves puissent être des sages. Certainement, ses écrits nous font croire qu’il a atteint cet état. Toutefois, il faut distinguer entre la sagesse exprimée (par les paroles, les livres, les entrevues, etc.) et la sagesse dans la vie privée. Dans son livre Never Say Die, Susan Jacoby nous donne un exemple très amusant de cette dichotomie entre sagesse exprimée et sagesse vécue.

Pourquoi le mythe de la sagesse chez les vieux?

Mais pourquoi tenons-nous tellement à ce que les vieux soient sages? En alliant les mots sagesse et aînés dans Google on obtient 1, 3 millions de résultats. Nous entendons parler de la fameuse sagesse des aînés à longueur de journée et c’est presque politiquement incorrect de s’en prendre à cette croyance.

Selon certains experts, le mythe de la sagesse des vieillards serait apparu pour contrer les perceptions négatives de la vieillesse.  On nous propose cette supposée sagesse comme une raison de valoriser les vieux. Toutefois, l’idée de la sagesse des vieux est apparue bien avant qu’on devienne conscient du phénomène de l’âgisme et du besoin d’améliorer l’image des personnes âgées.

Susan Jacoby nous propose une raison plus profonde et plus ancienne pour laquelle nous avons besoin de croire en la sagesse des vieux. Cette croyance viendrait de la doctrine chrétienne qui disait que le vieillard doit, avant de mourir, se départir de toute amertume, faire la paix avec ses ennemis, se repentir de ses péchés. Ce dénuement -et supposément- la sagesse qui l’accompagne- était pour les chrétiens l’idéal à atteindre avant de mourir. Toutefois, il s’agirait plutôt d’une sorte de « wishful thinking » comme disent les Anglophones : on aurait transformé cet idéal à atteindre en une croyance que les vieux deviennent effectivement sages.

Condamnés à être sages

En 1971, Simone de Beauvoir disait ceci : « Si les vieillards manifestent les mêmes désirs, les mêmes sentiments, les mêmes revendications que les jeunes, ils scandalisent; chez eux, l’amour, la jalousie deviennent odieux, la sexualité répugnante, la violence dérisoire. Ils doivent donner l’exemple de toutes les vertus. Avant tout, on réclame d’eux la sérénité. »

Jocelyne Robert en rajoute « …pourquoi toujours se rabattre sur la sagesse lorsqu’ on veut louanger la vieillesse? Je n’ai rien contre cette noble vertu mais n’y a-t-il pas d’autres joies et ravissements dans la vie des seniors que les vertus de sobriété de continence de sagesse, d’expérience et d’effacement? » En effet, présentée de cette façon, la sagesse est une façon plutôt plate de vivre sa vieillesse.

En réalité, ça ne devrait pas être nécessaire de trouver des qualités particulières aux vieux afin de justifier leur long séjour sur la planète. Ils ont le droit d’exister et de perdurer-sages ou pas- parce qu’ils sont humains comme tous les autres et qu’ils ont le droit de rester ici aussi longtemps qu’ils le peuvent.  

Des paroles de sagesse ?

Je termine sur une boutade. Jocelyne Robert a effectué un petit sondage auprès de ses lecteurs pour leur demander comment on devrait appeler les personnes âgées. L’expression qui revenait le plus souvent c’était « les sages » ! Eh bien, en voilà une belle preuve que les personnes âgées ne sont vraiment pas sages! S’estimer « sages » et se nommer « sages », n’est-ce-pas terriblement prétentieux?

Note : Je vous entends maugréer : Oui, mais on a quand même changé, on a évolué, on a de l’expérience! On ne fait plus autant de bêtises qu’avant! Oui, vous avez raison, mais expérience n’égale pas sagesse. Ce sera le sujet d’un autre article.

Références

Reportage de Radio-Canada sur l’intimidation dans les résidences pour personnes âgées : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1485990/aines-victimes-intimidation-etudes-phenomene-meconnu.

Définition de la sagesse https://www.researchgate.net/publication/305391482_La_sagesse_vient-elle_avec_l'age_Du_danger_des_stereotypes

Susan Jacoby. Never Say Die. The Myth and Marketing of the New Old Age. Vintage Books, NY 2010

Jocelyne Robert. Vieillir avec panache. Éditions de l’Homme. Montréal. 2021

Simone de Beauvoir. La vieillesse. Éditions Gallimard, Paris. 1970.

George E Vaillant. Aging Well. Surprising Guideposts to a Happier Life from the Landmark Harvard Study of Adult Development. Little, Brown, Spark, 2003

 

 

 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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