Comment faire pour vivre vieux? Réponse : personne ne le sait.

Un jour, quelqu’un demandait au philosophe Bertrand Russell – qui a vécu jusqu’à 98 ans- quelle était sa recette pour vivre vieux. Celui-ci répondit qu’il avait bien choisi ses ancêtres. Sa réponse était facétieuse mais c’est quand même un mythe répandu que la longévité est héréditaire. En effet, on entend souvent dire « Elle a de bons gènes! » d’une personne dont les parents ont vécu jusqu’à un âge avancé.  En réalité, cette personne n’a pas plus de chances de devenir centenaire que n’importe quelle autre personne de sa génération car il n’y a pas de « gène de la longévité ». Inversement, la personne dont les parents sont morts prématurément a autant de chances d’atteindre un âge avancé que ceux de sa propre cohorte -à moins bien entendu que ses parents soient décédés de maladies héréditaires, dans lequel cas ses chances de vivre longtemps sont effectivement réduites.

Comment expliquer alors qu’il y ait des familles dont plusieurs membres ont vécu jusqu’à un âge avancé? La raison de cette longévité familiale est que, dans une famille donnée, certaines maladies qui écourtent la vie se manifestent moins souvent que dans la population générale.  Les gènes associés à ces maladies seraient moins répandus parmi les membres de cette famille, ce qui contribuerait à une longévité accrue chez plusieurs d’entre eux. Malgré tout, dans l’ensemble, l’hérédité ne contribuerait que 7% de nos chances de vivre vieux.

Les centenaires

Les chercheurs continuent de se gratter la tête pour identifier les facteurs qui permettent à certains individus de vivre très longtemps, comme cette Jeanne Calmant qui a vécu 122 ans , le plus grand âge atteint jusqu’à présent.  Il n’y a pas encore suffisamment de centenaires dans le monde pour dégager des dénominateurs communs parmi ces grands vieillards. En fait, ce qui ressort c’est plutôt la très grande variabilité qui existe entre eux. Quand on demande à ces centenaires quelle est leur recette pour vivre aussi vieux, certaines réponses démontrent de la sagesse (marcher à tous les jours, ne pas manger au-delà de sa faim, etc.) mais d’autres défient carrément la science médicale (Un steak saignant par jour…! Un p’tit brandy avant d’aller se coucher!).  Certains centenaires n’ont jamais fait le moindre exercice et d’autres ont fumé tous les jours de leur vie depuis l’adolescence.

On a tout de même découvert que les centenaires souffrent rarement des maladies telles que la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence. Ils semblent aussi protégés des autres maladies associées à l’âge : arthrite, ostéoporose, athérosclérose, etc. On spécule qu’il y aurait peut-être un marqueur chez ces personnes qui leur permettrait de vivre longtemps à l’abri des conditions et des maladies associées au vieillissement.  Ces personnes seraient donc nées pour vivre longtemps et en santé! Mais attention, ces marqueurs de longévité ne sont pas nécessairement héréditaires.

Les communautés de centenaires

Pour trouver la recette de la longévité, certains chercheurs vont chercher des indices dans l’exemple de ces fameuses « communautés bleues », ces communautés où la longévité moyenne dépasse de loin celle de nos sociétés occidentales. Les plus connues de ces communautés bleues sont : La Sardaigne, Okinawa au Japon, Nicoya au Costa Rica, Loma Linda en Californie et Ikaria en Grèce. Encore là, il semble que ce soit des facteurs spécifiques qui aient permis aux vieillards de ces communautés de vivre si longtemps.

Parlons de la Sardaigne : une bonne proportion des hommes sont des bergers et marchent plusieurs kilomètres par jour en terrain montagneux. Leur régime alimentaire est constitué en grande partie de plantes mais aussi, ils sont friands de porc et de graisse de porc et ils se délectent d’une sorte de croustille qui ressemble à nos « oreilles de Christ ».  De plus, les hommes qui vivent le plus longtemps sont ceux qui ont la chance d’avoir une fille (pas un fils!) laquelle va s’occuper d’eux tant qu’ils vivent.

Il existe une autre communauté de centenaires dans les montagnes au-dessus de Lima au Pérou. Certains disent que le taux d’oxygène qui est raréfié dans cet endroit pourrait jouer un rôle. À Okinawa, on identifie surtout le réseau social et familial comme étant les facteurs déterminants. À Loma Linda en Californie, c’est une communauté religieuse qui se mérite le titre de « communauté bleue ». Ce sont des disciples de l’Église adventiste du septième jour et ils suivent une ligne de conduite très stricte dans tous les aspects de la vie. Évidemment, ces communautés étant toujours isolées, leur alimentation est généralement basée sur des produits non-industrialisés et elles ne sont pas sujettes à la pollution. 

Il me semble que chercher les secrets de la longévité dans ces communautés est une fausse piste précisément parce que ces communautés se trouvent nichées dans des contextes géographiques et sociaux exceptionnels et ont des styles de vie qu’on pourrait qualifier d’un autre âge. Extrapoler leurs styles de vie à nos propres sociétés occidentales me semble être un exercice pour le moins périlleux. En fin de compte, les conseils qu’on pourrait extraire de l’exemple de ces « communautés bleues » ne sont pas différents de ce que nous connaissons déjà et qui provient des études épidémiologiques basées sur nos sociétés occidentales: il faut bien manger, faire de l’exercice, minimiser le stress, avoir un réseau social.

Longévité et habitudes de vie

On sait déjà que ce sont les habitudes de vie saines qui sont les meilleures garanties d’une plus longue vie.  Il existe d’ailleurs des logiciels qui permettent de calculer une estimation de notre espérance de vie en se basant sur les antécédents médicaux, les habitudes de vie, le poids, etc. J’en ai essayé quelques-uns et invariablement, ma durée de vie estimée est toujours plus courte que celle que j’imaginais ou que j’espérais (ça doit être les dix kilos en trop!).

Dans ces logiciels, chaque facteur de risque représente un certain nombre d’années en moins, comme mes dix kilos excédentaires. On se met à espérer qu’une vie saine, c’est-à-dire une vie où on évite soigneusement les facteurs de risque, pourra nous propulser jusqu’un âge avancé. Malheureusement, ce n’est pas le cas car il y a le facteur « hasard » sous la forme de maladies encore non détectées, d’incidents fortuits, de maladies qui se révèlent tard et l’effet de facteurs sur lesquels nous n’avons pas de contrôle telle que la pollution. Et comme on le sait, le cancer est un prédateur qui ne tient pas toujours compte de notre bonne conduite. En fin de compte, ce sur quoi nous pouvons exercer une certaine influence ce n’est pas tellement notre longévité que le nombre d’années que nous pourrons vivre en bonne santé avant de décéder.

L’illusion du contrôle

Nous voulons tous vivre longtemps mais rayonnant de santé et en pleine possession de nos moyens!  Ce qui équivaut à dire : je veux être exceptionnel! L’exemple de ces vieillards qui semblent défier le temps –ceux qui sautent en parachute ou qui se tapent le marathon à 95 ans- nous a inculqué un modèle du vieillissement qui ne tient pas compte de la réalité.

Globalement, passés les 90 ans, les chances sont extrêmement élevées que nous aurons une maladie qui nécessitera des soins et qui occasionnera des pertes de capacité importantes.  Je suis inquiète pour ces septuagénaires en bonne forme physique qui s’imaginent toujours capables de jouer un 36 trous ou de participer à un tournoi de tennis lorsqu’ils auront 90 ans. Ce n’est pas impossible qu’ils puissent le faire mais en réalité, passés les 75 ou 80 ans, la grande majorité des gens ont grandement réduit leurs activités ou sont devenus relativement sédentaires. Ce ralentissement n’est pas dû à un manque de volonté mais à une perte graduelle de force et d’énergie et à l’installation de certaines conditions qui réduisent la liberté de mouvement : un genou qui bloque, un problème visuel, etc.

Je vais faire une hypothèse ici : j’avance que les baby-boomers seront en meilleure santé physique durant leur vieillesse comparé à la génération qui les a précédés mais qu’ils auront plus de difficultés psychologiques à s’adapter au ralentissement et à la perte de capacité. J’espère bien que j’ai tort. Sur ce, longue vie à vous!


1.  Petite anecdote au sujet de Jeanne Calmant. Alors qu’elle était déjà âgée, elle avait conclu une entente avec son notaire selon laquelle, en échange d’une rente mensuelle jusqu’à la fin de ses jours, sa maison deviendrait la propriété du notaire au moment de sa mort. C’est un type d’arrangement assez fréquent en France où les personnes âgées gardent souvent leur maison jusqu’à la fin. Mais le pauvre notaire mourut longtemps avant madame Calmant et celle-ci continua de profiter de la rente jusqu’à sa propre fin une trentaine d’années plus tard. Morale : ne jamais spéculer sur la longévité!


 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

1 commentaire

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    Ton article est très intéressant Danièle et surtout en adéquation avec notre contexte. Et oui, vaut mieux vivre des années de qualité qu’une longévité où s’invite généralement l’inconfort et l’isolement.

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