Les baby-boomers n’ont rien inventé

Une retraite « active »

Les baby-boomers ont tendance à penser qu’ils ont tout inventé et ce qu’ils n’ont pas inventé, ils l’ont révolutionné. On pourrait appeler cela du narcissisme générationnel. Concernant la retraite et la façon de vivre la retraite, les baby-boomers pensent avoir apporté au monde l’idée d’une retraite active et engagée. Avec eux, on dit adieu au bingo, tricot et berceuse sur la galerie, et bonjour, trekking et marathons. Merci beaucoup les baby-boomers (dont je fais partie) mais en fait, la vieillesse active existait bien avant nous.

De nos jours, les termes « retraite active » ou « vieillesse active » ont véritablement infiltré le discours contemporain sur cette période de la vie. Une recherche dans Google en associant « retraite » et « active » apporte 14 600 000 millions de résultats, « vieillesse active » presque deux millions et « vieillissement actif », 4 millions. L’association entre ces couples de mots est relativement récente. C’est en 1999 que l’Organisation mondiale de la santé a lancé une campagne visant à promouvoir une retraite et une vieillesse actives dans le but de contrer les préjugés liés à l’âgisme. À partir de ce moment, le gouvernement canadien a fondé ses politiques concernant les aînés sur cet objectif : encourager les personnes retraitées ou âgées à demeurer actives, car l’activité contribuerait à leur santé physique et mentale. (Klassen, 2013) Cet objectif est certainement louable mais cela laisse penser que les personnes âgées avaient auparavant été inactifs. Or, il n’en est rien.

De quels aînés parle-t-on?

Le texte qui suit s’applique surtout à la cohorte de personnes âgées nées avant le début du 20ième siècle qui ont vécu leur vieillesse dans les années 40 à 60. Pour les baby-boomers plus âgés, il s’agirait de leurs grands-parents et pour les plus jeunes, ce pourrait être leurs arrière grands-parents. Ces personnes avaient une longévité très courte (environ 65 ans) et les femmes étaient considérées vieilles dès la ménopause. (Le collectif Clio, 1992) Il n’y avait pas de régimes de pension ni de pensions de vieillesse. Le Québec était encore une société semi-rurale. En 1901, c’est 63% des Québécois qui étaient agriculteurs; en 1921, cette proportion avait fondu mais elle restait tout de même à 40%. (Pérodeau,1989).

Cette cohorte vivait dans une société traditionnelle, semi-rurale et dominée par les valeurs familiales et religieuses. C’est à partir des années 70-80 que les mentalités concernant la retraite et la vieillesse ont considérablement évolué et ce que nous vivons présentement à la retraite est en partie le résultat d’une longue suite de mouvements économiques, politiques et sociaux. Les habitudes différentes de la dernière cohorte de retraités (nos parents) par rapport à leurs aînés laissaient présager certains des changements qui sont devenus la norme de nos jours. Nos parents ont été une transition entre deux mondes. C’est pourquoi j’ai choisi la cohorte précédente pour mieux illustrer mon propos.

Dans ce temps-là…

On a peut-être des visions des aïeux du temps jadis qui ressemblent à Mémère Bouchard dans la télésérie Le temps d’une paix. Mémère passait toute la journée à se bercer en observant et commentant les faits et gestes de tout un chacun. Si les commentaires de Mémère sur un monde en évolution illustraient assez bien la mentalité de sa génération, par contre, le fait qu’elle passe toute la journée à se bercer est plutôt le reflet d’un stéréotype sur les personnes âgées de cette époque.

Les personnes âgées de cette époque restaient actives aussi longtemps qu’elles en étaient capables. À la maison, les femmes âgées surveillaient les enfants, raccommodaient les vêtements et la literie, faisaient des conserves, assistaient dans la préparation des repas et ainsi de suite. Elles fournissaient souvent une contribution essentielle à la bonne marche de la maison. Sur les fermes, elles s’employaient à des travaux plus légers selon leurs capacités : potager, soin des animaux, etc. Les hommes quant à eux assistaient aux travaux de la ferme dans la mesure de leurs capacités.

La situation était un peu différente dans les villes. Les hommes qui avaient un emploi ou qui tenaient un commerce travaillaient jusqu’à ne plus en être capables. En général, ils décédaient peu de temps après leur retraite mais ceux qui étaient encore valides effectuaient des travaux d’entretien sur leur maison ou allaient prêter main-forte à leurs fils ou filles quand ceux-ci avaient besoin d’aide. Les femmes des villes tout comme celles de la campagne continuaient de s’occuper des tâches domestiques et de recevoir leur famille lors des grandes occasions. Ma grand-mère paternelle allait aider des nièces ou d’autres femmes de sa famille à se relever de leurs accouchements. Il arrivait souvent que les veuves qui avaient une chambre libre dans leur logement prennent des pensionnaires.

Les loisirs, la vie sociale et le bénévolat

Les bingos existaient à cette époque mais les personnes âgées n’en avaient pas besoin pour s’amuser. Pour les femmes, il y avait tous les travaux d’aiguille : tricot, couture, etc. Elles faisaient souvent partie du Cercle des fermières, qui était aussi un lieu de socialisation féminine très important. Pour les hommes en milieu rural, il y avait la chasse et la pêche. Les jeux de société étaient populaires.

On restait très actif au niveau social et communautaire. Un grand nombre d’occasions de se dévouer tournaient autour de l’église mais il y avait aussi des activités séculières dans lesquelles les aînés pouvaient s’impliquer, notamment les commissions scolaires, les conseils d’administration des caisses Desjardins et tous les autres clubs sociaux.  En fait, ils étaient rares ceux qui ne participaient pas d’une façon ou d’une autre à la vie de la paroisse ou du village.

On comprend qu’il ait pu y avoir une certaine pression sociale – une bonne partie de cette pression venant du clergé - pour participer à ces activités. Toutefois, l’avantage de cette univers encadré par l’Église et la communauté est qu’une personne âgée avait peu de chances de se retrouver isolée. Même si quelqu’un ne participait pas aux activités de bénévolat, les nombreux événements festifs -processions, fêtes religieuses, baptêmes, mariages, etc.- qui avaient lieu tout au long de l’année créaient un cocon social tissé serré.

La vieillesse était aussi le moment idéal pour les petits voyages, pour faire des pèlerinages ou aller visiter de la parenté. On se visitait beaucoup entre membres de la famille et quelquefois les séjours se prolongeaient, surtout en été quand la maison hôte était à la campagne.

Rester chez soi

On entend souvent les personnes âgées dire : « Je ne veux pas être un fardeau pour mes enfants ».  Les baby-boomers n’iront pas vivre chez leurs enfants, ils ne désirent pas vivre en résidence et encore moins en CHSLD. Ce n’est pas d’hier que les personnes âgées désirent conserver leur chez soi. Rester à la maison et se débrouiller par ses propres moyens dans la mesure du possible était la norme et ce, même après la construction des premières résidences pour personnes âgées dans les années 1960.

Les aînés qui avaient une maison restaient propriétaires et en général, ils continuaient d’y demeurer jusqu’à leur mort. Dans les villes, les locataires habitaient souvent le même logement toute leur vie ou presque et ils pouvaient donc anticiper d’y mourir. Si les gens mouraient souvent chez eux ce n’est pas parce que le système de santé le permettait ou que les hôpitaux étaient trop chers; c’est plutôt que les gens tombaient raide mort en sciant du bois ou en faisant des conserves.

La maison des parents devenait tout naturellement le lieu privilégié où la famille se rassemblait. Il arrivait qu’un enfant décide d’y rester et d’y fonder sa famille. Quelquefois, ce séjour était temporaire. Mes grands-parents maternels ont maintes fois accueilli leurs enfants avec leurs conjoints et souvent leur premier enfant en attendant qu’ils puissent se payer leur propre logement. L’appartement de ma grand-mère paternelle a été le domicile de plusieurs membres adultes de sa grande famille à des moments différents. Il semble qu’il y avait chez elle un va-et-vient perpétuel de parenté, d’amis, de voisins, etc.

Le désir d’autonomie

Notre génération accorde une valeur considérable à l’autonomie et l’indépendance. Nous aimons nous penser autonomes vis-à-vis de nos ascendants et de nos descendants. Pour nous, l’autonomie complète -soit en tant que couple ou en tant que personne seule- représente une sorte d’idéal à conserver. La catégorie « semi-autonome » dans les résidences fait frémir ceux qui sont encore bien portants. 

Réjean Lefrançois, dans son œuvre magistrale, Les nouvelles frontières de l’âge (2004) n’aime pas parler de l’autonomie des personnes âgées. Selon lui, vouloir favoriser l’autonomie des personnes âgées, c’est occulter le fait que les personnes âgées fournissent aussi de l’aide à leurs descendants. Il faudrait plutôt parler, selon Lefrançois, de l’interdépendance entre les générations.  Il donne de nombreux exemples de l’aide apportée par les parents âgés à leurs enfants et petits-enfants, celle-ci pouvant être fournie en services -comme de garder les enfants par exemple- ou en soutien financier.

Cette interdépendance des générations s’est considérablement effritée au cours des dernières décennies mais certainement, on peut affirmer que la cohorte de personnes âgées que j’ai décrite vivait une situation d’interdépendance avec leurs enfants. Les parents âgés s’attendaient à rendre service à leurs enfants et vice-versa. Pour les personnes âgées qui vivaient avec leurs enfants-soit dans leur propre maison ou dans celle de leurs enfants-et pour celles qui dépendaient de leurs enfants pour divers services, cette situation ne représentait pas pour autant une défaite ou une admission d’incapacité. La notion d’« autonomie » telle que nous l’entendons maintenant ne s’applique pas à cette génération mais ces personnes retenaient toujours un certain pouvoir par leur autorité et la place qu’on leur accordait au sein de la famille.

On a de qui tenir….

Mon but n’était pas de peindre un tableau idyllique de la vieillesse d’autrefois. La vieillesse n’est jamais facile et elle ne l’était certainement pas à cette époque.  Toutefois, l’image que nous avons de vieillards totalement dépendants de leurs enfants, se berçant sur la galerie n’est pas fidèle à la réalité. Ceux qui étaient encore valides continuaient d’être actifs le plus longtemps possible et ceux qui avaient atteint un état de dépendance ne vivaient pas tellement longtemps dans cet état.

Le désir de continuer comme avant et de rester actif était tout aussi vif chez nos grands-parents qu’il l’est dans notre génération. Toutefois, c’est peu probable que les aînés de cette époque disaient d’eux-mêmes qu’ils restaient « actifs » ou qu’ils devaient rester « actifs ».  Pour eux, la vie se déroulait de façon continue, sans qu’il y ait cette rupture au moment de la retraite. Pour les femmes qui tenaient maison, rien ne changeait. Leurs activités évoluaient seulement au rythme de leurs capacités physiques et mentales.

Et que tirer de cette histoire?

Pourquoi, en effet, raconter tout ceci? Je voulais premièrement démontrer que n’avons rien inventé concernant la vieillesse active et engagée et qu’en fait, nos ancêtres nous ont fourni un beau modèle. Toutefois, nous n’allons certainement pas essayer de revenir en arrière comme les jeunes des années 70 qui ont effectué le retour à la terre. Par nos valeurs et nos conditions de vie, nous sommes entièrement différents de nos grands-parents et même de nos parents.

Pourtant, à la base, les besoins fondamentaux ont toujours été les mêmes. Les personnes âgées de cette époque cherchaient à combler trois besoins primaires : le besoin d’avoir un lieu bien à soi où vivre en sécurité, le besoin de rester un être agissant et ayant une prise sur le monde et le besoin d’être en lien avec le reste du monde. Ces besoins fondamentaux n’ont pas changé -l’humain ne change pas tant que cela. Ce qui a changé sont les moyens pris pour combler ces besoins. Plutôt que de marcher jusqu’au village, nous faisons du sport. Nous n’allons pas au Cap de la Madeleine mais prenons une croisière en Norvège.  Nous avons les médias sociaux plutôt que les veillées sur le perron.

Notre conception de la vieillesse que nous voulons vivre est en partie fondée sur certaines de nos valeurs modernes, des valeurs centrées sur l’autonomie, la performance et l’individualisme.  Nous prenons facilement une attitude de consommateurs floués face aux atteintes à notre individualité ou à notre vie privée. L’allergie des baby-boomers à toute forme de dépendance est un reflet de notre désir de contrôler nos vies jusqu’à la fin. Ça pourrait être profitable quand nous angoissons sur notre avenir de vieillard de faire un retour sur les besoins primaires : sécurité, liens avec les autres et liens avec le monde.

Pour finir, cela m’intéresserait de connaître votre impression de la retraite ou de la vieillesse de vos parents, grands-parents ou arrière grands-parents.

Références

Louise Décarie. (2014) Longue vie ! Vieillir au Québec autrefois. Rabaska. Revue d'ethnologie de l'Amérique française. Volume 12.

Thomas R. Klassen (2013) Retirement in Canada. Issues in Canada. Oxford University Press. Don Mills, Canada.

Le Collectif Clio (1992) L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Éditions du Club Québec Loisirs. Montréal, Canada

Réjean Lefrançois (2004) Les nouvelles frontières de l’âge. Les presses de l’Université de Montréal. Montréal, Canada.

Guillème Pérodeau. (1989) Vieillir au Québec : d’une génération à l’autre. Santé mentale au Québec, Volume XIV page 191-198

 

 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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