Les sept travaux de la vieillesse

Ce n’est que très récemment que les psychologues ont commencé s’intéresser à ce qui se passe durant la vieillesse. Pendant longtemps, le vieillissement psychique est resté inexploré. C’est comme à l’époque où on croyait que la terre était plate, on supposait qu’au-delà du monde connu, il n’y avait rien, on tombait dans un grand trou noir. « Acà nada » (ici, il n’y a rien) écrivaient les Espagnols sur leurs cartes pour indiquer ces grands espaces sans nom. Pendant longtemps, la vieillesse c’était un « Acà nada » car il ne s’y passait rien, sauf bien entendu la maladie, le déclin, la sénilité. La vieillesse n’était qu’un gouffre.

Même à notre ère moderne et depuis l’éclosion de la psychologie en tant que science, peu de psychologues ou de psychiatres se sont intéressés aux vieux. Freud refusait de recevoir des patients âgés de plus de 50 ans car selon lui, au-delà de cet âge, on devenait trop rigide pour être capable d’évoluer.  Encore de nos jours, les troubles mentaux qui se manifestent chez les personnes âgées sont souvent banalisés comme étant les effets de la vieillesse : « Madame, à votre âge c’est normal d’être déprimée ». Trop souvent, les psychothérapies qui pourraient être efficaces auprès des personnes âgées sont négligées au profit de la médication.

Les derniers stades de la vie selon Erik Erikson

Dans les années 60, quelques rares psychologues ont commencé à s’intéresser à l’évolution psychologique après la soixantaine. Le psychanalyste germano-américain Erik Erikson a défini chacune des phases de la vie en termes de conflits à résoudre et il a osé aller au-delà de la cinquantaine pour définir ce qui se passe durant la vieillesse.

Selon Erikson, la personne arrivée à l’âge mûr (entre 45 et 60 ans) est censée résoudre le conflit entre la générativité (c’est-à-dire le besoin de contribuer à la société et de léguer quelque chose) et la stagnation. Pour atteindre la générativité, il ne s’agirait pas nécessairement de transmettre un héritage ni de créer une œuvre qui perdurera dans le temps. C’est par le fait d’élever des enfants et de les aider quand ils sont adultes, d’être productif au travail, de s’impliquer dans la communauté, de donner de soi en tant que bénévole, ou de contribuer aux arts qu’on fait preuve de générativité.  L’implication dans ces sphères d’activité mène au sentiment d’avoir été utile et de contribuer à la société dans son ensemble.  Au contraire, lorsque cette implication ne se produit pas, il y a risque de stagnation. Les personnes qui n’atteignent pas le sens de la générativité peuvent devenir centrées sur elles-mêmes et sur leur propre confort, ce qui leur laisse un sentiment de vide.

On peut se douter que si cette étape s’achève sur un sentiment de stagnation, il y a peu de chances que la phase suivante, celle des 65 ans et plus, soit positive. Erikson a décrit la huitième et ultime étape comme un conflit entre l’intégrité de l’égo et le désespoir. Pour atteindre l’intégrité de l’égo, il faut pouvoir accepter sa vie dans son entièreté : les victoires comme les échecs, ce qui a été accompli et ce qui est resté en friche. À l’opposé, nourrir des remords ou le sentiment d’avoir échoué dans des sphères importantes peut mener à la dépression et au désespoir. L’intégrité de l’égo suppose qu’on est capable de faire abstraction des succès et des échecs réels ou matériels et de considérer sa vie comme étant réussie.

Les limites des modèles basés sur l’âge

Les chercheurs contemporains reconnaissent maintenant que les modèles du vieillissement psychologiques liés à l’âge comme celui de Erikson ne sont plus aussi pertinents. En effet, nos vies sont beaucoup moins linéaires qu’elles ne l’étaient auparavant et on reconnait qu’il y a des va-et-vient entre les divers stades de la vie. Par exemple, une femme dans la cinquantaine peut décider de se consacrer plus entièrement à sa carrière et alors voir celle-ci prendre son envol; elle ne sera pas prête à ralentir et encore moins s’arrêter quand elle sera dans la soixantaine. La formation d’une nouvelle union avec un(e) partenaire plus jeune peut dans certains cas, allonger la durée d’une phase et par exemple, des hommes de 60 ans peuvent se retrouver avec de jeunes enfants. C’est donc devenu absurde de penser qu’une personne devrait normalement atteindre telle phase psychologique autour de tel âge.

Des modèles basés sur l’évolution physique

Voici un autre modèle du vieillissement, proposé par le britannique Bromley (1990) et révisé par Hétu (2016). Je vous résume les deux dernières phases :

  • 65 à 75 ans : Entrée dans le statut de personne âgée- Déclin physique plus sensible : risque d’une maladie grave et du déclin du conjoint-Désengagement social au profit des relations avec les proches
  • 75 ans et plus : Entrée dans le grand âge- Poursuite du déclin des aptitudes physiques, sensorielles et cognitives, de même que de la réduction de l’autonomie.

Remarquez que ce modèle est entièrement basé sur le déclin physique comme si la psychologie de l’adulte âgé ne dépendait que de sa condition physiologique. Cela correspond à une conception médicalisée de la vieillesse : on évolue au rythme de nos maladies et de nos pertes physiques et le défi principal de la vieillesse serait de s’adapter à ces pertes. Certes, l’adaptation à la maladie et aux pertes de capacité constitue un des défis majeurs de la vieillesse mais il n’y a pas que cela. Ne pourrait-on pas s’imaginer, chez les vieux, une évolution psychique qui aurait sa propre dynamique et qui ne serait pas forcément liée au déclin physique? Ne pourrait-il pas y avoir des déblocages, des rédemptions? Des prises de conscience ou des apaisements qui ne soient aucunement liés au déclin physique?

Je pense à une anecdote concernant Oliver Sacks, le neurologue qui a écrit le best-seller « The Man who Mistook his Wife for a Hat » (1985). À l’âge de 75 ans et jusqu’à sa mort en 2015, Sacks a connu le grand amour, celui dont il s’était privé toute sa vie car il n’était pas question, à cette époque, de vivre son homosexualité au grand jour. Cette relation fut un bouleversement total dans la vie de Sacks. Il vécut cet amour avec la même intensité qu’un adolescent mais avec la maturité d’un adulte. Cette relation a donné un nouvel élan à ses dernières années et il a ainsi pu terminer sa vie d’une façon joyeuse, passionnée et libérée de toute contrainte. Cette histoire nous envoie le message qu’il existe encore, même à un âge avancé la possibilité de connaitre des émois intenses et des bouleversements majeurs et que cela n’a rien à voir avec ce qui se passe au niveau physique.

La pensée de Jung sur la vieillesse

Carl Jung est parmi les premiers psychothérapeutes à s’être intéressé spécifiquement à la psychologie des adultes de plus de 50 ans. Jung disait même qu’il préférait traiter les personnes plus âgées! Jung s’est distingué des autres théoriciens de la vieillesse en évitant le piège d’une échelle de progression basé sur l’âge; il a plutôt proposé que les personnes âgées avaient sept tâches ou devoirs à accomplir.

Les sept tâches de la vieillesse selon Jung sont les suivantes :

  1. Affronter la réalité de l’âge et de la mort.
  2. Passer en revue sa vie, la soumettre à réflexion
  3. Renoncer à ce qu’on ne pourra pas faire, c’est-à-dire, accepter sa mortalité et s’orienter en fonction de cette mortalité
  4. Renoncer à la domination de son égo : cela implique de ne plus axer ses activités et ses relations sur ce qui est gratifiant pour notre égo. Faire des choix d’amitiés ou d’activités exemptes du besoin de briller ou de dominer.
  5. S’enraciner différemment dans le Soi : c’est-à-dire être capable de se concevoir comme un être de contradictions, fait d’ambivalences et de conflits et accepter ce que cela entraîne.
  6. Découvrir le sens de la vie. C’est-à-dire, être conscient de sa propre philosophie de la vie et pouvoir l’articuler.
  7. Développer un sens global de sa propre vie- Ceci pourrait impliquer de concevoir sa propre vie comme faisant partie d’un plus grand tout ou de l’univers dans sa globalité et de voir sa mort comme une partie du cycle de la vie. Il s’agit essentiellement de dépersonnaliser sa propre vie ainsi que sa mort.

Je ne donne pas plus de détails sur ces tâches car il faudrait des explications beaucoup plus longues pour leur faire justice. Ces « devoirs » peuvent sembler banals et on peut certainement lire des conseils semblables dans tout magazine destiné aux personnes âgées ou dans les médias : par exemple, « Les dix stratégies pour vieillir dans la sérénité! ».

Toutefois, le mérite de Jung consiste, premièrement, à avoir proposé que l’individu peut continuer d’évoluer tout au long de sa vie et jusqu’à la fin, ce qui en soi était une pensée révolutionnaire. Deuxièmement, il a su décrire les éléments de la maturation psychologique spécifiques à la vieillesse sans les lier au déclin physique. La maturation de l’individu peut accompagner les changements physiologiques et les faciliter mais elle en est indépendante et possède sa propre dynamique. Et troisièmement, que l’évolution psychique durant la vieillesse peut se traduire par des ouvertures, des délivrances et des découvertes et aboutir sur une meilleure compréhension de soi et du monde.

Selon Jung, c’est possible, si on fait bien ses « devoirs » d’atteindre un état supérieur empreint de sérénité et d’acceptation. Il faut bien qu’il y ait une compensation pour le fait de vieillir! Et si une personne arrivait à terminer tous les « devoirs » de Jung, est-ce que cela correspondrait à cette fameuse « sagesse » des personnes âgées, dont tout le monde parle et qui est supposé venir avec la vieillesse? Peut-être. Je reviendrai dans un autre article sur le concept de la sagesse des personnes âgées qui serait un mythe, selon certains auteurs. (Jacoby 2011).

Faire le bilan de sa vie

Dernièrement, de nombreuses personnes âgées ont profité de la pandémie pour écrire le bilan de leur vie. Janette Bertrand les a d’ailleurs aidées dans cette tâche en donnant des conseils et des ateliers. Toutefois, l’effet thérapeutique d’un bilan de vie sera très limité si on fait un récit purement anecdotique de nos faits et gestes, nos succès, etc. Au final, ce sont nos passions, nos déceptions, nos grands bonheurs et malheurs, nos motivations profondes qui nous définissent. Un bilan de vie qui passerait à côté de ces aspects raterait son but le plus important, qui serait de pouvoir concevoir et raconter l’entièreté de sa vie.  Qu’on s’inspire de Erikson ou de Jung, la tâche des personnes âgées serait d’explorer au plus profond d’eux-mêmes afin de retrouver ce qui a constitué leur destin unique et de se réconcilier avec le résultat de cette recherche. C’est un travail ardu et qui peut durer jusqu’à la fin de ses jours.

Références

Betty Friedan (1993) La révolte du 3e âge. Albin Michel

Jean-Luc Hétu (2016) Psychologie du vieillissement. Groupéditions éditeurs

Susan Jacoby (2011) Never Say Die: The Myth and Marketing of the New Old Age. Vantage Books, New York.

 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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