Qui a le cœur ou l’esprit jeune?

Je suis tombée dernièrement sur cet article du Figaro datant de 2013 et intitulé « Bien vieillir en gardant un esprit jeune ». Les expressions « avoir l’esprit jeune » ou « rester jeune de cœur » me causent toujours un certain malaise. Suis-je jeune de cœur moi-même? Je ne le sais pas. Quelles sortes de comportements ou d’attitudes a-t-on quand on est « jeune de cœur »?

Ces expressions sont généralement utilisées pour parler des personnes âgées qui font quelque chose d’inattendu pour leur âge, comme de tomber amoureux à 92 ans ou apprendre à piloter un avion. On dit qu’elles sont « jeunes de cœur » parce qu’elles ont des attitudes qui sont généralement associées à la jeunesse, par exemple le goût de la découverte, la curiosité, l’ouverture à de nouvelles expériences, la capacité d’émerveillement.   

Si on associe ces attitudes aux jeunes, c’est parce qu’on ne s’attend pas à les trouver chez les personnes âgées. Les attitudes attendues chez les aînés seraient leurs contraires, c’est-à-dire, la rigidité, la fermeture aux nouvelles expériences ou aux nouveaux apprentissages, la perte du sens de l’émerveillement, etc. C’est là qu’on fait une erreur fondamentale.

Les personnes âgées n’ont pas de traits caractéristiques car elles ne forment pas un bloc monolithique. Chez les aînés, certains aiment la routine, d’autres la détestent.  L’un a un grand appétit pour le changement mais sa conjointe aime ce qui est familier. Qualifier de « jeune » le fait de chercher de nouvelles expériences provient d’une conception erronée de ce que c’est que de vieillir.  C’est véhiculer l’idée que typiquement les vieux sont passifs, peu actifs, peu intéressés par la nouveauté ou les défis.

Qu’en est-il de ces personnes qui accomplissent des exploits ou des actes surprenants à leur âge -comme de sauter en bungee ou en parachute- et dont on dit qu’elles ont le cœur jeune? Sont-elles différentes des autres? Oui et non. Elles sont sans doute exceptionnelles –même comparées à la population générale - par leur vitalité et leur goût du risque mais ce n’est pas parce qu’elles ont le cœur plus jeune. Ces personnes étaient sans doute casse-cous durant leur jeunesse ou ont toujours rêvé de faire ce genre de choses. Les peureux (comme moi qui transpire juste à l’idée d’un saut à l’élastique!) ont toujours été peureux. Cela n’a rien à voir avec l’âge ou la soi-disant jeunesse du cœur.

On utilise aussi l’expression « jeune de cœur » pour parler de ceux qui éprouvent « encore! » des sentiments amoureux ou qui s’émerveillent des beautés de la vie. Comme si certains sentiments et émotions avaient des dates de péremption et n’avaient plus cours chez les personnes âgées. Or, dans ce que nous savons sur le vieillissement rien n’indique que le désir amoureux ou la capacité d’émerveillement disparaissent de notre vécu émotif ou qu’on soit incapable de les ressentir à nouveau.

Un cœur qui bat toujours à 95 ans est un cœur qui bat avec tout l’éventail des émotions humaines. Et ces émotions pourraient être très semblables en intensité à ce qu’une jeune personne pourrait éprouver. À ce propos, je cite un extrait des carnets de l’écrivain André Major dans Les pieds sur terre : « Au cours de mes promenades, je jouis de tout ce que je vois, sens et entend avec le même enchantement que lorsque, tôt levé, je m’habillais silencieusement pour ne pas réveiller mes parents et allais cueillir des petits fruits dans les champs environnants ».

Je ne crois pas qu’André Major soit exceptionnel. Notre jouissance des plaisirs de la vie et de la beauté n’est pas moins aigue que quand nous étions jeunes -et plusieurs rapportent qu’ils ressentent les choses encore plus fortement qu’auparavant- mais c’est possible que la manifestation extérieure de cette jouissance soit plus discrète ou même totalement absente. Il y a une sorte de retenue chez les personnes âgées (on ne s’épivarde plus sur les planchers de danse et on ne lance plus des cris de Tarzan en se jetant dans le lac) qui laisse penser qu’elles éprouvent les choses moins fortement ou pas du tout.

C’est surtout dans les médias et dans la littérature populaire sur la vieillesse qu’on retrouve les références aux cœurs et aux esprits jeunes mais malheureusement, ces concepts font leur chemin dans l’esprit de la population. Dans les écrits sur le vieillissement qui sont basés sur la recherche, on ne parle pas de conserver l’esprit jeune ou le cœur jeune. On parle plutôt des traits de caractère associés à un vieillissement positif : par exemple, le réalisme (accepter de vieillir) mais aussi l’estime de soi (pour affronter les obstacles et s’adapter) et la notion du contrôle interne (c’est-à-dire la conviction que nous avons le pouvoir de modifier notre vie). Ce sont ces caractéristiques (il y en a d’autres mais cela dépasse le sujet de cet article) qui jouent le plus grand rôle dans le vieillissement positif et non pas le fait d’avoir un soi-disant cœur ou esprit jeune.

Les comportements dits « jeunes » -comme sauter en bungee- qu’on trouve chez certaines personnes âgées sont intéressants pour les médias car cela fait de bons articles. Mais en réalité, ces comportements ne sont en aucune façon reliés à la longévité -la peureuse que je suis dirait que c’est même le contraire!- ou au vieillissement positif. Bien vieillir, c’est garder une certaine disposition à explorer tout ce que notre vie peut nous offrir…dans les limites naturelles imposées par notre personnalité et nos capacités physiques.

Si je tiens à dénoncer cette expression, c’est qu’elle est un reflet de l’âgisme ambiant. On nous dit : « Soyez jeunes pour mieux vieillir car être vieux ou penser vieux, c’est ça le problème. Soyez comme des jeunes! » Quand on dit à une personne « Vous êtes restée jeune » cela pourrait être un compliment pour la personne en question mais en réalité, il dessert toute la population vieillissante, tous ceux qui n’ont pas nécessairement les caractéristiques jugées nécessaires pour se mériter le compliment.

Je termine sur une citation de Henry Miller sur la vieillesse (traduction libre): « Si vous pouvez tomber en amour encore et encore, si vous pouvez pardonner à vos parents le fait de vous avoir mis dans ce monde, si vous êtes contents même de n’aller nulle part, que vous vivez chaque jour tel qu’il se présente, si vous êtes capable de pardonner aussi bien que d’oublier, si vous ne devenez pas amer, aigri et cynique, alors vous êtes en voie de réussir. »

Bien dit, Henry.

Texte original: If you can fall in love again and again, if you can forgive your parents for the crime of bringing you into the world, if you are content to get nowhere, just take each day as it comes, if you can forgive as well as forget, if you can keep from growing sour, surly, bitter and cynical, man you’ve got it half licked.

 

 

 

 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

2 commentaires

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    Allo chère Danielle. Merci pour tes réflexions. Un commentaire? Intelligent??? si ce n’est q j’apprécie ton auto-dérision. Ton humour dans le coin supérieur-droit. Ton analyse ou résumé qui n’a permet de réfléchir à notre tour sur l’aspect q tu abordes. Bref, merci et bravo.

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    De belles réflexions Danielle. Comme toi, je suis peureuse et je n'ai jamais eu ni jamais voulu faire du bungee ! Ceci ne veut pas dire, par contre, que je suis "vieille" mais peut-être "sage" de ne pas vouloir risquer de me casser le cou ! Nous entendons souvent les gens dire, j'ai tel âge mais à l'intérieur, je me sens encore jeune. Merci. Claire

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