La voyageuse de nuit de Laure Adler, publié en 2020

Autant vous le dire tout de suite, ce livre de Laure Adler sur la vieillesse m’a profondément exaspérée. Comme pour les films qui comportent de la violence, j’aime autant vous en avertir. Je lu ce livre une première fois pour en faire une brève description en compagnie de deux autres livres portant sur la vieillesse : celui de Bernard Pivot (Et la vie continue) et celui de Catherine Bergman (Il faut rester dans la parade) Voici le lien de cet article ici : https://lazonegrise.ca/article/regards-croises-sur-la-vieillesse  Après avoir lu le livre de Adler, j’étais tellement fâchée de sa teneur et de ces prétentions, que je l’ai mis de côté pendant plusieurs mois sans pouvoir y revenir. Mais étant donné la popularité de ce livre en France et au Québec et de l’aura de crédibilité qu’on lui a accordée, j’ai décidé que ce serait pertinent d’y revenir plus longuement.  

Un récit personnel

Laure Adler est journaliste et écrivaine. En couverture arrière, elle décrit son livre comme étant « une enquête tissée de rencontres » mais en bas de page, l’éditeur le qualifie plutôt d: « grand récit personnel ». En fait, l’élément « enquête » ne sort que par bribes, ici et là, au hasard de rencontres et de conversations. Elle ne fait pas usage de données ni de résultats de recherches, elle ne cite jamais les psychologues ni les gérontologues. Malgré ses prétentions à l’enquête, ce livre reste essentiellement un récit personnel agrémenté de réflexions sur le vieillissement dans la société française.

Les affres de la vieillesse

Quand j’ai parcouru ce livre la deuxième fois, je me suis attardée à noter les constats de l’auteur sur la vieillesse comme étant soit positifs, soit négatifs.  J’ai dû me rendre à la page 31 avant de trouver la moindre petite miette de positif. C’est un long plongeon en apnée avant d’avoir un peu d’air. Mais c’est fait du bout des lèvres et il faut attendre encore une autre centaine de pages avant de lire plusieurs lignes qui concèdent que oui, ah oui, il y a peut-être véritablement une évolution positive durant la vieillesse.

Les beaux vieux

Madame Adler trouve cela difficile de vieillir -elle le dit souvent- et il semble que ce soit le fait de voir son image altérée qu’elle trouve particulièrement pénible. La question de l’apparence est d’ailleurs omniprésente dans le livre; elle décrit les personnes qu’elle rencontre en fonction de leur allure plus ou moins bien préservée. En voici deux exemples parmi tant d’autres : « elle a quatre-vingts ans et ne les paraît pas » (ah bon tant mieux pour elle…) et « l’allure est elle aussi celle d’une adolescente corsetée, bien éduquée : le corps est droit, le maintien impeccable, le visage d’un ovale parfait ». Ouf, quel programme! J’ai l’impression qu’aux yeux de l’auteur, peu d’entre nous obtiendraient une aussi bonne note ou même une simple note de passage.

Les vieux qui rassurent l’auteur et lui font envisager que la vieillesse n’est peut-être pas aussi horrible qu’elle le craint sont précisément ceux-là qui ont conservé fière allure. Apparemment, le salut se trouve dans le maintien de son apparence et dans la persistance à « faire jeune ». Or, c’est là un des malentendus concernant la vieillesse des plus dommageables, l’idée qu’une apparence « jeune » ou une allure « jeune » est signe d’un vieillissement positif. Dans cette optique, le contraire serait aussi vrai : une personne dont l’apparence est plus altérée serait une personne qui vieillit moins bien.

Il faut dissocier l’apparence jeune du fait de « bien vieillir ». Les deux ne sont pas synonymes et dans les études sur le vieillissement, ces deux facteurs ne se trouvent même en corrélation. Dans tous les livres que j’ai lus sur le « bien vieillir », aucun ne parle de la nécessité de maintenir une apparence « jeune ». En effet, on vieillit comme on peut et l’une des tâches les plus importantes du vieillissement est précisément d’abandonner l’espoir de conserver son ancienne image pour pouvoir s’en forger une nouvelle, plus adaptée à la réalité du vieillissement. Que ce soit un dos plus courbé, une démarche moins que sautillante ou un visage à l’ovale moins que parfait.

Ce parti pris pour les « beaux vieillards » sert de rempart à ceux qui ont peur de vieillir. En ne posant son regard que sur ceux qui ont belle allure, on se forge une image optimale de la vieillesse, une vieillesse retouchée comme les personnes âgées dans les magazines pour aînés. De nombreux auteurs (dans La tyrannie du bien vieillir et Le droit de vieillir entre autres) ont d’ailleurs fustigé cette obligation qu’on impose aux vieux de « rester jeune » et de « paraître jeune ». Les vieux ne sont pas là pour servir de modèles ni pour rassurer les plus jeunes -ou les pas encore vieux- sur ce qui les attend. C’est dommage qu’une auteur telle que Laure Adler qui prétend dénoncer l’âgisme ait pu tomber dans ce piège pourtant si souvent décrié par les spécialistes du vieillissement.

L’âgisme à Sun City

L’auteur s’insurge contre la façon qu’on s’occupe des vieux dans son pays ou ailleurs et elle décrie quelques exemples venus d’Amérique. Elle parle de Sun City, en Floride, une de ces communautés fermées de vieux se desséchant au soleil comme des crocodiles. Ce type de communauté n’est pas connu en France et l’auteur les présente comme des « réserves pour cheveux blancs à peau blanche ». Pour un lecteur canadien ou québécois qui a une idée de ce que sont les réserves pour autochtones, cet usage du mot « réserve » pour parler de ces colonies de vacances haut de gamme est très malvenu.

Elle dit qu’il est prévu, que d’ici 50 ans, c’est 30% des aînés américains qui vivront dans ce type de communauté. Cette affirmation -dont elle ne cite pas la source- est tout à fait incroyable. Étant donné les coûts immobiliers et les frais d’entrée très élevés de ces communautés, seuls les bien nantis ont accès à communautés.  Pour que 30% des Américains âgés viennent y vivre, il faudrait qu’ils gagnent tous à la loterie ou que tous les Trump des USA se mettent à payer des impôts raisonnables! Mais ce n’est là qu’une des affirmations surprenantes -et sans références- de madame Adler.

L’auteur voit ce type de communauté comme une mise à l’écart des vieux, une forme d’exclusion sociale et donc une des pires formes d’âgisme. Oui, c’est vrai que ces communautés sont à l’écart de la vie courante, mais c’est une exclusion choisie et voulue par leurs habitants. Dans une société où la violence est omniprésente-à un niveau qui serait inimaginable en France-on peut comprendre que certaines personnes âgées aient voulu se mettre à l’abri. IL faut aussi reconnaître que l’esprit qui a mené à la création de ces communautés est dans le droit fil de la mentalité américaine de séparation entre les classes et les races. Il ne s’agit pas d’âgisme ici.

Je dénote dans les propos de Laure Adler une tendance qui consiste à voir de l’âgisme dans tout aspect de la vieillesse qu’elle aurait de la difficulté à accepter pour elle-même. Les enfants placent leurs parents en résidence : c’est de l’âgisme! On lui offre une place dans le métro : de l’âgisme encore! Cette tendance à voir de l’âgisme dans tout ce qui nous incommode est très présente dans les journaux et les médias. J’y reviendrai peut-être un jour, car selon moi, cette hyper-sensibilité et la rapidité à dénoncer tous azimuts- et qu’on a vues à l’œuvre chez d’autres groupes également- n’aident pas la cause des personnes âgées.

Se fier aux écrivains

Laure Adler cite abondamment les écrivains et les poètes qui ont parlé de la vieillesse. En fait, les ouvrages littéraires sont ses seules sources d’information; je n’ai trouvé dans les références que des œuvres de fiction ou encore des récits personnels sur la vieillesse. Sur les sujets plus concrets tels que les maisons de retraite (nos RPA) et les EHPAD (nos CHSLD) elle ne fournit à peu près aucune donnée et ne cite pas la source. Elle ne fait pas plus appel aux connaissances issues de la psychologie du vieillissement ou de la gérontologie.

Or, les écrivains ne font pas de meilleurs guides sur la vieillesse que n’importe quel quidam car il ne s’agit toujours que de la façon dont ces écrivains vivent ou ont vécu leur vieillesse. Dans un ouvrage comme celui-ci, l’auteur est libre de piger parmi les écrivains ceux dont les écrits et les sentiments correspondent à ce qu’elle ressent elle-même. Il n’y a pas ici d’obligation de présenter les deux côtés de la médaille comme ce serait le cas dans une enquête ou un reportage.

Malgré tout, le livre de Laure Adler est agréable à lire pour ceux qui aiment la littérature ou qui apprécient l’apport des écrivains dans la pensée contemporaine. Mais il faut le considérer comme un récit personnel; il ne nous apprend pas beaucoup de nouvelles choses car sa qualité est surtout dans le ressenti. L’auteur a un talent particulier pour décrire certains états d’âme qui peuvent venir avec le vieillissement et plusieurs de ces descriptions sonnent très justes. Même si on ne ressent pas ces émotions soi-même, on voudrait s’en rappeler si jamais on les ressentait un jour. Elle fait un survol assez satisfaisant de ce que peut être l’angoisse de vieillir pour certains en même temps que la satisfaction -oui, peut-être, un peu, quelquefois- qu’elle peut apporter à certains autres.

Je souhaite à Madame Adler un vieillissement positif; je lui souhaite aussi de pouvoir écrire un autre livre sur la vieillesse mais dans dix ans ou plus quand elle sera réconciliée avec le fait de vieillir. Selon moi, elle a besoin de mûrir encore un peu….

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

1 commentaire

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    Allo toi, Tout d’abord, Bonne, Heureuse, En-Santé Année! … et le Paradis à la fin de tes jours. Belle écriture, encore une fois Danielle. C’est vrai que certaines personnes n’utilisent pas le mot, verbe, adjectif “vieillir” pour se décrire. Si je ne peux pas dire que je suis vieille à 73 ans, faudra attendre à mon centenaire? … je suis vieille mais pas en train de mourir. Et mon body a fait du chemin; ça s’appelle de l’expérience, et j’aime croire … de la maturité! J’espère que tu vas bien dans ton coin de pays. On se verra peut-être bien en 2022. Porte-toi bien et merci encore pour tes commentaires qui nous font réfléchir. Quand même! À la prochaine.

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