Les pieds sur terre (Carnets 2004-2007) d’André Major publié en 2020

À partir de 1975, l’écrivain québécois André Major (récipiendaire du prix du Gouverneur général en 1976) publie une série de carnets constitués de notes sur la littérature, l’époque, la nature, etc. Ses notes sont parsemées ici et là des petits événements de sa vie. L’auteur est vieillissant mais ces derniers carnets ne traitent pas spécifiquement de la vieillesse; celle-ci est plutôt une image en filigrane mais qui relie le tout ensemble comme un ruban entoure un cadeau. 

Dans Les pieds sur terre, André Major couvre les années 2004-2007 durant laquelle il fête ses soixante-cinq ans. Ce n’est pas banal pour lui car ce passage au statut de sénior semble concrétiser un ensemble de sentiments, sensations, états d’âme qu’il relie à son vieillissement. Il se sent autre, il n’est plus pareil. Ces sentiments tels qu’exprimés par la plume d’un écrivain aussi subtil qu’André Major sont comme du bonbon pour moi. De plus, André Major ne se prend pas pour une norme, contrairement à beaucoup d’autres auteurs qui écrivent sur la vieillesse; il ne fait que raconter ce qui lui arrive sans se juger lui-même ni les autres. Je ne vais pas essayer de résumer son propos par rapport à son vieillissement car ce sont des pensées plutôt éparses qui ne forment pas un tout.  À la place, je vous présente quelques citations qui m’ont paru particulièrement pertinentes.

« On a fêté mes soixante-cinq ans dimanche. Et, pour bien marquer mon entrée dans le club des aînés, je me suis promis plus ou moins solennellement de refuser tout ce qui ne m’intéresse plus-interventions publiques, articles pour des revues, etc. Je voudrais assumer le rôle de déserteur auquel je prétends et aspire depuis longtemps. J’entends par là que je ne serai disponible que pour ce qui m’importe vraiment. »

« Je commence à mieux accepter l’idée de renoncer à des objets -vêtements, livres, instruments de cuisine ou outils-qui m’ont loyalement servi et que j’ai entretenus avec soin. La perspective de devoir m’en séparer me contrarie et m’attriste, comme si ces biens m’étaient consubstantiels. Mais je me raisonne et je vois là un bon exercice pour apprendre à accepter d’autres renoncements, plus douloureux peut-être. »

« En vieillissant, on a besoin de se restreindre, de se concentrer sur deux ou trois activités essentielles, à l’abri de toute dispersion. Faire moins de choses, mais les faire mieux, cela suffit a nous combler l’âme. A chacun de voir quelles sont ces choses. »

« …j’éprouve le sentiment réconfortant de m’être encore affranchi de toute ambition, n’étant plus tributaire désormais que de ma curiosité pour la réalité ambiante et des réflexions qu’elle m’inspire. »

« L’âge vient où l’on revit sans émotion ce qui nous a tourmenté, humilié ou tout simplement manqué. On est devenu le spectateur de ce passé dont on peut rencontrer le cours sans état d’âme comme le ferait un historien. »

« Si on veut ennuyer ses enfants, on leur raconte qu’on s’enveloppait les jambes dans un papier journal pour se protéger du froid et des coups quand on allait jouer au hockey à la patinoire du quartier. »

« À soixante-cinq ans, on accepte mieux le sentiment d’un certain échec peut-être parce que, toute amertume bue, on peut envisager la vieillesse avec sérénité. »

« Celui qui se rebiffe contre le passage du temps n’y gagne que sa peine. Savoir vivre consiste justement à adapter le pas qui sied à son âge. »

« S’il est vrai que la vieillesse nous restitue un peu du loisir de l’enfance, on n’en use pas avec la même innocence. Il suffit qu’on cesse de s’activer pour éprouver une sorte de vertige devant le désert qui nous attend. »

« Au cours d’une promenade, Walser (écrivain suisse du 19 siècle) dit à Carl Seelig que, selon lui, peu de gens jouissent de la vieillesse, qui peut pourtant dispenser des joies : « Car on a compris que le monde tend à retourner encore et toujours aux choses simples et élémentaires. Il se défend instinctivement contre la prédominance de l’exceptionnel, du singulier. La soif inquiète de l’autre sexe s’est apaisée et l’on aspire plus qu’au réconfort de la nature et aux beautés qui sont accessibles à quiconque les désire. Enfin, débarrassé de toute vanité, on est assis dans le silence du grand âge comme sous un doux soleil parallèle. »

Il y a de tout dans ces réflexions d’André Major : l’abandon en même temps que le courage, la tristesse et la lucidité, les regrets et l’acceptation. On sent que l’auteur a des hauts et des bas face à son vieillissement mais en même temps il y a une toile de fond qui est celle de la sérénité et de l’acceptation, deux postures qui ne sont pas faciles à maintenir et qui se disloquent de temps à autre. On a cette impression que l’auteur est en train de siffler dans le noir mais qu’il siffle aussi fort qu'il peut. .

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

4 commentaires

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    Quel excellent partage Danielle! De mon point de vue, 65 ans est loin du concept de se sentir vieux, mais plutôt une prémisse à un ralentissement pour effectuer le virage vers un chemin différent mais non moins intéressant. Je lisais les extraits en retrouvant certaines réflexions en écho dans ma tête particulièrement cette forme de lâcher prise. Je vais mettre ce titre sur ma liste de lecture.

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    Richard Longtin22/10/2021 à 20:27:28

    Pour compléter cet excellent article il faut lire à ici radio-canada: la sagesse et la lucidité d’André Major, fin observateur du monde: audiofil du mercredi 22 mars 2017; merci encore Danielle, Richard

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    Sylvain Giguère23/10/2021 à 09:44:57

    Je n'ai pas encore ces fameux 65 ans (je les vois quand même qui me narguent et qui m'attendent au prochain détour!!!) mais j'avoue que ma sérénité se disloque très facilement. Y'a pas encore de pilule miracle pour ça!

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    La soif inquiète de l’autre sexe s’est apaisée ... Partagé entre la tranquillité qui remplace la fébrilité et la nostalgie de la fébrilité.

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