Regards croisés sur la vieillesse

Ces temps-ci, les livres sur la vieillesse ont la cote. Surtout quand ils sont écrits par des gens vieux et célèbres. Quand le livre de Bernard Pivot « …mais la vie continue » portant sur les joies et les affres du vieillissement est sorti, j’ai d’abord voulu l’emprunter à la bibliothèque. Neuf personnes l’avaient déjà réservé avant moi et chez le libraire, il était temporairement épuisé. Même scénario pour l’essai personnel de Laure Adler « La voyageuse de nuit », sorti l’automne dernier mais qui va se promener de main en main pendant des mois encore. J’ai dû me résigner à commander les deux livres à ma librairie locale.

Ce n’est que très récemment que les auteurs consacrés ont commencé à écrire sur leur propre vieillesse. Peu d’écrivains ont osé le faire jusqu’à présent car ce n’était pas un sujet vendeur. Pourquoi faire la chronique de ses pertes et déclins? Qui pourrait s’intéresser à cela? Cicéron s’est permis cette petite coquetterie dans « De Senectute » (De la vieillesse) mais je suppose qu’en l’an 44 avant JC, il n’avait pas besoin de se soucier du chiffre de vente.

Pourquoi sommes-nous si nombreux à vouloir connaitre la vieillesse des autres? Avons-nous besoin d’un manuel d’instruction pour savoir comment vieillir? C’est vrai que notre génération est la championne des manuels d’instructions pour tout, de l’éducation des enfants à la conservation des aliments au frigo. Serait-ce parce que nous avons besoin de nous frotter à la vieillesse des autres pour mieux nous comparer? Pour nous rassurer sur ce qui nous attend avec des récits positivistes?  Certes, nous avons besoin de nouveaux modèles étant donné que la vieillesse telle que vécue par nos parents n’est plus pertinente à nos yeux. On ne vieillit pas de la même façon que nos parents. La nouvelle vieillesse est à réinventer. C’est donc normal que nous cherchions des modèles de vieillesses contemporaines qui sont en lien avec ce que nous vivons présentement, où vieillesse peut rimer avec Whatsapp et Facebook.

Une question d’échantillonnage

Il y a quelques années, dans une brocante, je suis tombée sur ce livre de la journaliste Catherine Bergman intitulé « Il faut rester dans la parade » qui donnait la recette pour bien vieillir de quelques célébrités québécoises et canadiennes. Je trouvais le titre plutôt moralisateur mais pour 50 sous, on ne chipote pas sur le titre.  Pour écrire ce livre, Catherine Bergman avait interviewé une trentaine de personnes issues autant du domaine culturel et artistique (Gilles Vigneault, Antonine Maillet, Clémence Desrochers) que du domaine politique (Monique Bégin, Flora McDonald), économique (Jean Coutu) et scientifique (Brenda Milner, Hubert Reeves).

Évidemment, tous présentaient une image positive du vieillissement. Tous sont de bons exemples de ce qu’on appelle dans le jargon des gérontologues, la « vieillesse réussie ». Il s’agit là d’un phénomène d’échantillonnage : une journaliste qui veut écrire un livre sur le vieillissement ne vas pas aller chercher ceux dont la vieillesse est pénible. Ces sujets ont été triés sur le volet pour donner une représentation positive de la vieillesse.

En plus d’être en bonne santé relative, ces vieillards sont connus et reconnus pour leur apport à la société québécoise et canadienne et plusieurs d’entre eux sont riches ou très riches. Peu d’entre eux doivent se sentir inutiles, exclus de la société ou abandonnés. Ils professent tous qu’il ne faut jamais arrêter de faire ce qu’on aime faire, « il faut rester dans la parade » comme le dit le titre du livre. Mais justement c’est précisément leur énergie, leur motivation et la passion de toute une vie (que ce soit la créativité, la science ou la justice) qui ont fait d’eux des êtres d’exception et qui font d’eux des vieillards exceptionnels. Leur expérience de la vieillesse peut-elle être utile aux pauvres quidams que nous sommes? Je ne sais pas mais il faut se poser la question.

Vieillir, c’est amusant!

Le roman de Bernard Pivot « …mais la vie continue » est un livre joyeux; le ton est badin ; tout, y compris la mort d’un ami, se prend facilement avec une dose d’humour. Jules, le narrateur, est aussi célèbre et fortuné que Pivot et en assez bonne santé malgré des problèmes gastriques liés à ses habitudes alimentaires. Pas de quoi se plaindre, vraiment. Étant célèbre, il peut réserver la salle Goncourt (Pivot a déjà été président de l’Académie Goncourt) pour lui et ses amis dans un restaurant qui a été fréquenté par les grands écrivains des deux derniers siècles. Je suppose que ce léger privilège doit apporter une dose de plaisir narcissique pas négligeable. Cela doit certainement aider à composer avec les désagréments de l’âge quand ceux-ci se font sentir avec plus d’insistance.

Je ne vais pas résumer le livre aujourd’hui. Je le ferai plus tard peut-être mais pour le moment, je veux juste en retirer de quoi illustrer mon propos, notamment, quelles sont les leçons qu’on peut tirer d’un tel livre? Certes il est amusant et joyeux. On se sent mieux après l’avoir lu. On a le plaisir de constater que le narrateur-si célèbre et fortuné qu’il soit- éprouve les mêmes réticences et les mêmes difficultés qui se présentent à nous : difficulté à descendre les escaliers, insomnie passagère, raideurs, maladresses, etc. Il y a une certaine justice, ici, comme celle de constater que les milliardaires ne sont pas plus heureux que l’employé qui nettoie leur piscine. C’est rassurant. Mais a-t-on vraiment besoin d’un livre pour le savoir?

Pivot utilise souvent le « on » collectif (comme dans « on ne veut plus… » « on n’a plus autant de… ») alors qu’il aurait dû employer le « je ». Ce sont des décisions et des choix qui lui appartiennent et qui sont la conséquence de tout ce qu’il a été. En disant « on » plutôt que « je », il s’érige en norme : c’est ce que font les vieux, « on » est comme cela quand « on » atteint cet âge. Or, c’est démontré que la variabilité entre les personnes âgées est plus grande que dans tous les autres groupes d’âge. Il n’y a pas de « on » collectif.

Dans le cas de Pivot, il s’agit souvent de distanciation (par exemple il décide de réduire le temps passé à s’informer de l’actualité ou il laisse tomber son besoin de faire des réparties brillantes), et par conséquent, ses aveux ont pour effet de normaliser l’abandon. Mais est-ce normal, attendu? Est-ce la chose sage ou respectable à faire quand on a cet âge-là? Je ne crois pas que Voltaire par exemple, qui a reçu un flot continu d’admirateurs jusqu’à la fin de sa vie à 83 ans, se soit départi de son besoin de démontrer son esprit brillant. Je suis sûre que Pivot n’a pas réfléchi à ces questions en écrivant son roman et il n’avait pas besoin de le faire car c’est un roman après tout. C’est plutôt à nous les lecteurs de nous positionner par rapport au modèle qui nous est présenté.

Un voyage déprimant

Le livre de Laure Adler, « La voyageuse de nuit » n’a pas le même effet revigorant que celui de Pivot. Je ne voudrais décourager quiconque de lire le livre de Laure Adler -elle offre un point de vue intéressant- mais sachez qu’elle marche plutôt du côté sombre de la rue. L’auteur parle de son propre vieillissement et en profite pour dénoncer l’âgisme qui serait omniprésent dans la société française ainsi que la situation qui est faite aux vieux dans les EHPAD (l’équivalent de nos CHSLD). Le livre résonne comme un glas qui condamne à l’indigence quiconque oserait dépasser les 80 ans.

Le livre est un essai mais il est entrelardé de l’expérience subjective de la vieillesse de l’auteur. Par exemple, elle révèle sans embarras qu’elle a de la difficulté à accepter le vieillissement de son apparence. Elle n’aime pas regarder son image altérée dans le miroir. Est-ce l’effet de l’âgisme sur elle (il faut lutter pour garder une apparence jeune…) ou plutôt le résultat du sexisme encore tellement patent en France? Quelles qu’en soient les raisons, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a un lien entre l’image sombre qu’elle peint de la vieillesse telle que vécue en France et sa propre angoisse face à sa vieillesse. Ce que nous voyons surtout dans ce livre c’est la relation intime de l’auteur avec son propre vieillissement.

Or, la vision que nous avons de notre propre vieillesse et de ce que l’avenir nous réserve est fortement influencée par nos perceptions culturelles et sociales. La journaliste américaine Susan Jacoby (Never Say Die, 2012) a justement bien décrit l’effet des valeurs culturelles et des attentes de la génération des baby-boomers sur notre perception de la vieillesse et du vieillissement. Selon elle, ce n’est pas l’âgisme qui serait la plus grande menace à notre futur bien-être mais bien nos attentes irréalistes et notre besoin de nier la réalité de la vieillesse et de la fin de la vie. Selon Jacoby, c’est la peur de vieillir qui cause l’âgisme et le rejet des vieux, et non le contraire. Je reviendrai un jour sur ce livre : c’est un tonique au goût amer mais qui a pour effet d’ouvrir les yeux.

Contes de fées ou histoires d’ogres?

Entre la vision toute légère de Pivot et le désespoir de Laure Adler, où se situer? Dans ma vie et dans mon blogue, j’essaie d’éviter à la fois le jovialisme et la morosité. Je me méfie autant des modèles de vieillesses joyeuses que des visions cauchemardesques. J’espère le mieux mais j’envisage la possibilité du pire.

La recette d’une vieillesse heureuse de telle ou telle personne n’est qu’un résidu de tout ce qu’il ou elle a été. On vieillit comme on peut avec les moyens du bord, certains ayant plus de moyens que d’autres. Mais en définitive, quelle que soit la recette, il y a des choses qui continuent et d’autres qui s’arrêtent. Nous pouvons décider de certaines choses mais d’autres non. En dépit de nos meilleures résolutions, certaines vieillesses se passent bien et d’autres pas.  Certaines commencent bien mais bifurquent soudainement et prennent une route de travers. Et même pour celles qui se passent relativement bien, elles finissent invariablement par des passages pas agréables du tout.

Nous avons beau nous gargariser de belles pensées sur la vieillesse, nous ne savons pas comment nous allons nous débrouiller et quelle sera notre attitude si on se rend à un âge avancé et que les choses vont mal. Nous avançons tous dans le noir et ni Bernard Pivot ni Laure Adler ne sont plus renseignés ou plus sages que nous.

Sachant cela -que nous ne savons pas- comment pouvons-nous vivre maintenant de la façon la plus heureuse possible avec ce que nous avons, étant donné les personnes que nous sommes?  On peut se donner des règles de vie ou une philosophie. Quelles règles précisément, cela a peu d’importance. Vos règles iront dans le même sens que votre vie a pris jusqu’à présent. Bien entendu, se donner des règles, cela équivaut à siffler dans le noir. Siffler dans le noir n’est pas inutile et même cela a un pouvoir calmant mais seulement si nous sifflons notre propre refrain et pas celui d’un autre.

 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

1 commentaire

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    Francine Laroche26/03/2021 à 08:07:16

    Très bons commentaires auxquels j’adhère parfaitement. Je serais intéressée à lire les autres articles de Mme Ferron. Francine Laroche, psychologue à la retraite

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