Instrumentaliser les vieux

En mai 2023 paraissait le livre Soigner les vieux de Réjean Hébert. L’ancien ministre de la Santé au Québec y expose les défis auxquels sont confrontées les personnes âgées au Québec et propose quelques solutions. Ce livre renferme des informations fort intéressantes notamment sur la genèse du système de santé du Québec et l’impact des joutes de ping-pong politiques ou administratives sur la situation des aînés. Le principal cheval de bataille de Hébert est la question de l’offre de soins à domicile. Hébert propose un virage tous azimuts vers les soins et services à domicile afin de colmater la ruée des personnes âgées vers les résidences pour aînés (RPA), de raccourcir la liste d’attente vers les Centre de soins de longue durée (CHSLD) et ultimement, de désengorger les hôpitaux.  

Pour étayer sa proposition, le Dr Hébert se sert d’arguments qui me semblent procéder de la pensée unique. Premièrement, selon lui, de nombreux Québécois qui se retrouvent en CHSLD pourraient demeurer à domicile jusqu’à la fin si des soins adéquats leur étaient offerts à domicile. Si une si grande proportion de Québécois habite en résidence comparé au reste du Canada ce serait faute de pouvoir rester chez eux.  Deuxièmement, toute forme d’hébergement regroupant les aînés est cause de mort sociale et favorise leur ghettoïsation. Et troisièmement, les politiques touchant les aînés doivent être axées sur l’intégration intergénérationnelle.

S’il est vrai que les soins à domicile ont grandement besoin d’être renforcés, leur bonification ne diminuera en rien la nécessité de maintenir les CHSLD. Selon des experts consultés par l’Actualité, [i] il faudrait mener deux batailles de front : bonifier l’offre de services à domicile en même temps que de construire un plus grand nombre de CHSLD. Dans cet article, une gériatre affirme qu’ils ne sont pas nombreux les résidents de CHSLD qui auraient pu continuer à vivre chez eux avec des soins à domicile, contrairement à ce qu’en dit le Dr Hébert.

La plus grande affluence des Québécois vers les RPA, comparée au reste du Canada, résulterait, selon le Dr Hébert de l’échec du système de prise en charge des aînés. C’est vrai que l’offre de soins à domicile est légèrement plus élevée ailleurs au Canada, mais cela n’explique pas l’attrait des RPA au Québec. Plusieurs autres facteurs pourraient jouer en faveur des RPA au Québec. Il y a notamment le déficit de proches aidants qui est plus aigu au Québec, la proportion plus élevée de locataires (ce qui facilite le mouvement vers une RPA) et l’offre de résidences à des prix plus abordables. J’ajouterais que les Québécois ont l’esprit grégaire, qu’ils aiment se retrouver « en gang ». Blâmer la pénurie de soins à domicile pour expliquer la popularité des RPA équivaut à nier totalement les avantages de celles-ci. C’est aussi présenter les aînés qui ont fait ce choix comme des victimes du système plutôt que des adultes ayant pris des décisions éclairées et assumées.

Hébert mène une charge virulente contre toute forme d’hébergement collectif pour les aînés, que ce soit les immeubles locatifs pour aînés, les RPA et les CHSLD. Même les immeubles à condos tant prisés par les retraités ne trouvent pas grâce à ses yeux. Selon Hébert, ces endroits entraînent la mort sociale des résidents et la ghettoïsation de l’ensemble des aînés. Il s’agirait, selon lui, d’un ostracisme patent des personnes âgées et un véritable fléau pour la société.

Or, les résidences et centres de longue durée peuvent contribuer à la resocialisation de personnes ayant vécu à domicile dans la solitude la plus totale. L’isolement, que ce soit dans une vaste maison ou dans un appartement insalubre peut être total -et est un facteur de morbidité- et la visite, même quotidienne, de fournisseurs de services ne suffit pas à combler ce vide.  Malheureusement, depuis le désastre humanitaire de la COVID, les centres de soins ont été démonisés alors que la plupart d’entre eux ont su bien tirer leur épingle du jeu. On peut trouver une vision plus nuancée des CHSLD dans Laissez-nous vieillir! de Harold Gagné et Les signes du monde : Une ethnographie des centres d’hébergement de Éric Gagnon. Certes, ces livres ne stimulent pas un désir ardent d’y habiter mais ils laissent entrevoir la possibilité d’une fin de vie suffisamment douce. (Voir mon analyse de ces deux livres dans https://lazonegrise.ca/article/une-balade-en-chsld ).

Quant aux RPA, elles offrent la possibilité d’une vie sociale tout aussi enrichissante que la vie de quartier. De nombreuses activités (conditionnement physique, ateliers, etc.) qui seraient difficiles d’accès dans la communauté y sont offertes. Quand mes parents ont opté pour la résidence, ils ont retrouvé des anciennes connaissances et en ont formé des nouvelles. Mon père y a trouvé un auditoire élargi pour son sens de l’humour; alors qu’il s’était ennuyé dans les couloirs déserts de leur immeuble à condos, à la résidence, il est vite devenu une vedette. La mort sociale ne semblait pas rôder dans les parages.  

Que les personnes âgées décident d’acheter un condo ou d’aller en résidence, les raisons sont multiples et tout aussi diverses que les personnes elles-mêmes. Ces raisons sont souvent en synergie avec leur cheminement de vie; ce pourrait être la lassitude d’avoir à gérer une propriété, le besoin de changer de décor, de se renouveler, le désir de se rapprocher des enfants ou de la nature, ou au contraire le désir de vivre en plein centre urbain. Quoi qu’il en soit, le contact avec les autres générations ne vient pas nécessairement en tête de liste au moment de prendre une décision. Une résidente interviewée pour l’article de l’Actualité s’est éloignée de ses enfants et petits-enfants pour être plus proche de sa fratrie car, explique-t-elle, elle voulait vieillir auprès des gens de sa génération avec qui elle partage un vécu. Se retrouver entre aînés peut être un choix délibéré, et pourtant le Dr Hébert appelle cela de la ségrégation.

En proclamant que ces habitations dédiées aux vieux sont à éviter à tout prix, le Dr Hébert instrumentalise les vieux et les rend responsables, par leurs choix de vie, de contribuer à affaiblir le tissu social. Les vieux n’ont pas à porter le fardeau de la fragmentation de la société. Si on se soucie de leur bien-être, il faudrait les consulter pour savoir ce qui est important pour eux plutôt que de condamner d’emblée les options résidentielles qui ne correspondent pas à un concept de la société idéale.

Finalement je ne peux m’empêcher de souligner le discours misérabiliste et victimaire dont le livre est imprégné. À commencer par la préface rédigée par un autre gériatre : « on les a isolés du reste de la société (pas besoin d’étoile jaune quand il y a des rides et les cheveux blancs), on les a confinés », etc. Se servir de l’imagerie de l’Holocauste est une insulte aux victimes de cette monumentale tragédie et représente une grossière exagération de la situation des vieillards du Québec. Pour le reste, il suffit de jeter un coup d’œil sur certains titres : Les vieux se cachent pour mourir! ou Cessons d’isoler les vieux! comme si les vieux avaient été séquestrés et mis au rancart comme autrefois on mettait les gens à l’asile. Or, comme le rappelle un intervenant dans l’article de l’Actualité « Il y a plein de gens qui vieillissent bien, et ce, dans tous les types de milieux de vie. ».

 

 

 


[i] Vieillir à la maison, l’Actualité, Août 2021

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

2 commentaires

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    Francine Lalonde23/08/2023 à 11:58:57

    Je suis tellement d’accord avec cette analyse; elle me rejoint totalement. D’ailleurs, j’ai déjà dénoncé les propos du Dr Hébert dans les journaux lorsqu’il émettait son point de vue négatif sur les RPA. Ce sont des milieux de vie socialisant qui brisent l’isolement des personnes vieillissantes. Je pense que les Québécois ont l’esprit grégaire et c’est ce qui les incitent à choisir ce style vie vie. N’hésite pas à partager ton opinion pour contrer les propos du Dr Hébert. Ce choix de vie n’empêche pas de recevoir des soins appropriés par le système de santé et de services sociaux.

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    Louise Fontaine26/08/2023 à 20:01:36

    Merci Danielle pour ce nouvel article, Pour voir mes parents qui ont évolué dans les RPA, c’est vrai que pour plusieurs ils y trouvent un lieu de rencontre et de socialisation. Ce que je comprends de la quête du Dr. Hebert, c’est le financement des services à domicile qui fait défaut., que l’on soit à logement, en condos, dans notre maison ou dans un RPA. Je vois où vivent mes parents des personnes seules qui peinent à payer ce loyer sans service et à gros prix ne pourront jamais se permettent d’y rester au fur et à mesure de leur pertes d’autonomie en ajoutant les services. C’est d’ailleurs le drame de plusieurs d’avoir à déménager plusieurs fois et même d’être séparés de leur conjoint classifié différemment. En RPA, avec 3 repas, prise de médicament et soins de base d’hygiène et de ménage c’est 45,000$ à 80,000$ et même beaucoup plus selon le luxe de l’endroit. C’est cher, peu de gens peuvent payer cela, mais le drame c’est que c’est bien plus cher en CHSLD ou maison des aînés pour la société que de véritable services à domicile pour tous. Enfin, rien n’est simple et il faut saluer toutes les personnes qui mettent en lumière des idées pour l’avenir. Merci Danielle, x

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