Balade avec Épicure. Voyage au cœur du bonheur authentique de Daniel Klein publié en 2015 Éditions Michel Lafon, Paris.
Pour apprendre à mieux vieillir, le philosophe Daniel Klein décide de séjourner pendant un mois sur l’île grecque de Hydra. Il veut se pénétrer de la philosophie d’Épicure et de la manière grecque de faire face à la vieillesse. Ce petit livre en est le résultat. Bien que le livre ne parle essentiellement que de la vieillesse, il n’est pas présenté comme tel. Le mot « vieillesse » n’apparait pas dans le titre ni dans le paragraphe descriptif sur la page arrière ni dans les textes publicitaires. Serait-ce parce que les éditeurs craignaient de ne pas vendre autant si le mot « vieillesse » était présent?
Klein se sert de la philosophie d’Épicure comme point d’ancrage à ses ruminations mais il pige aussi dans la philosophie de la Grèce antique et dans la philosophie moderne. D’emblée, Klein fait la distinction entre l’authentique philosophie épicurienne et la mauvaise réputation qu’on lui a faite en l’associant à l’hédonisme. La philosophie épicurienne professe qu’il faut miser sur les plaisirs simples et durables pour atteindre le bonheur. L’hédonisme par contre, est une recherche systématique et souvent excessive du plaisir sensuel, ce qui ne mène pas à un bonheur de longue durée. Les Épicuriens pratiquaient aussi le détachement envers la vie externe, la politique et les affaires. Ils vivaient en collectivité mais en retrait de la société et passaient le plus clair de leur temps à discuter de philosophie, de théâtre et des arts.
La proposition centrale de Klein est que le mode de vie épicurien représente la façon idéale de vivre pour une personne vieillissante : plaisirs simples de la vie combinés au retrait du commerce et des affaires de la société. Par « commerce », Épicure veut dire tout travail rémunéré et « affaires de la société » se réfère à la politique et aux responsabilités civiques.
Klein s’inspire de la philosophie moderne et antique mais aussi de la vie menée par les vieux habitants de l’île- ce sont tous des hommes, à croire que les femmes sont toutes cachées dans leur cuisine- pour en déduire une philosophie de vie appropriée à la vieillesse. Selon les observations de Klein, les éléments d’une vieillesse heureuse seraient, entre autres : un contact quotidien avec les amis ou les proches, une pratique des plaisirs de l’esprit, l’acceptation globale du vieillissement et l’évitement de tout effort. Quand Klein dit qu’il faut éviter de faire « des efforts », il veut dire qu’on ne doit pas se causer de stress en vue d’atteindre des résultats. Ne pas s’acharner sur les objectifs et même ne pas les cultiver mais juste vivre au jour le jour. Il accorde aussi une grande importance au jeu, c’est-à-dire toute activité qui n’est d’aucune utilité (et qui n’a aucun but), telle que la pétanque, le jeu d’échecs, la danse (on est en Grèce…).
La recette de Klein pour une vieillesse heureuse ressemble drôlement à la formule de retraite basée sur les loisirs et les liens sociaux, un type de retraite qui a pris son essor dans les années 1970-80 dès que les retraités nord-américains ont pu bénéficier de rentes plus avantageuses. Or, lorsque les premiers baby-boomers sont arrivés à la retraite (vers le début de ce millénaire) une certaine proportion d’entre eux ont trouvé que cette formule de retraite basée sur la dolce vitae était vide de sens et ils ont cherché diverses façons d’insuffler du sens à leur vieillesse. Certains ont misé sur l’implication continue dans la société, d’autres sur la créativité et l’expression de talents encore non-exploités. Les moyens pris pour donner un sens à la vie sont divers mais ce qu’on constate c’est que pour beaucoup de retraités l’idée d’une retraite basée sur les loisirs et la dolce vitae ne répond pas à leurs besoins. Ont-ils tort? S’agit-il d’une simple lubie de baby-boomers? Allons-nous revenir éventuellement à un type de retraite ou de vieillesse plus passive? Je ne sais pas et on ne peut pas prédire l’avenir.
L’ouvrage de Klein est un peu hors du temps, comme si on était dans n’importe quel siècle, pas au 21ème siècle où la pensée sur la vieillesse a grandement évolué pour inclure l’activité et le développement continu de la personnalité. Objectivement, comment peut-on prôner un désengagement de la vie publique quand on connait le rôle important joué par un bon nombre de personnes âgées dans le bénévolat, les mouvements sociaux et dans la vie politique? Ou quand on voit toutes ces personnes âgées toujours impliquées dans les arts ou l’entreprenariat et ce, pour leur plus grand bonheur et souvent leur longévité accrue. Mais selon la philosophie de Klein, Joe Biden devrait être en train de jouer à la pétanque dans son domaine du Delaware.
Ce n’est pas un hasard si Klein a pris les habitants d’Hydra comme modèles et cela apporte des limites dans l’applicabilité de ses préceptes. Il y a un rythme de vie sur Hydra qui est particulièrement propice à la vie prônée par Klein; en effet, il n’y a aucun véhicule motorisé sur l’île et on peut supposer qu’il ne s’y passe presque rien. Il y a un décalage culturel entre ce qui est normal sur Hydra et ce qui est réaliste dans notre culture nord-américaine. Certaines des habitudes des vieux de Hydra – par exemple les journées passées à la terrasse d’un café- ne sont possibles que dans un pays au climat chaud ou tempéré, là où les cafés sont voués à la flânerie et au bavardage. On ne parle pas du Starbucks ici. D’ailleurs, Klein admet vers la fin de son livre que certains principes de vie pourraient être difficiles à appliquer dans notre société nord-américaine.
J’ai trouvé ce livre intéressant dans la mesure où certains aspects me paraissaient tout à fait sages et appropriés (par exemple, la nécessité d’accepter les modifications esthétiques de son corps) alors que d’autres sont en contradiction totale avec certaines des connaissances actuelles entourant la retraite et le vieillissement heureux. Malgré tout, chacun des points qu’il apporte suscite une réflexion utile car ils font prendre conscience de ce qui est vrai ou possible pour chacun et ce qui ne l’est pas. J’en reviens à mon mantra personnel : pour vivre une bonne retraite ou une bonne vieillesse, il faut bien se connaître soi-même ainsi que ses limites et savoir ce qui est bon pour nous ou pas.
Le livre de Klein est agréable à lire : il réussit à nous fait sentir l’odeur de l’huile d’olive et la chaleur du soleil grec. Mais comme le dit le titre, c’est une simple balade. Klein passe vite sur les éléments de sa philosophie; quelques-uns ne sont pas suffisamment expliqués et certains concepts issus de la psychologie et de la neuropsychologie sont mal interprétés. Ce livre est comme un plat de mezze grecs: c’est varié et succulent mais peut-être pas assez nourrissant pour soutenir longtemps. À consommer avec un verre d’ouzo.
J’aborderais le propos en prétendant que nous, nord américains, vivons un vieillissement pluriel. Notre climat y ponctue les variations. L’approche de Klein se retrouve aisément dans nos dispositions estivales où nous concédons facilement du temps à des activités plutôt ludiques. Nous ralentissons notre rythme en étalant nos activités au gré d’une plage horaire plus longue. Aussi, nous diminuons nos exigences d’entretien domestique pour profiter pleinement de l’extérieur. Les rencontres sociales à l’heure de l’apéro sont des moments recherchés pour échanger. Fait à ne pas négliger, le climat. Par ailleurs, il en est tout autrement de nos habitudes pendant la saison hivernale ( qui dure bien plus que 4mois). Devenant plus casaniers , notre intellect réclame sa pitance. Le besoin de ressourcement est bien présent d’où l’engouement pour tous types de formation. Comme tu le mentionnes dans ton article, il y a une carence à n’être que ludique après une vie active à développer des habiletés et connaissances. Pour plusieurs, nous avons le luxe de faire des choix. Je m’applique à aller dans ton sens: avoir la sagesse de se respecter en évitant les dictats d’un modèle de vieillissement. Se connaître d’abord, avoir de l’ouverture à la nouveauté, oser expérimenter et surtout, accepter les changements physiques en sachant s’adapter avec positivisme. C’est, selon moi, dans cette recherche d’équilibre dans le but d’atteinte d’une tranquillité de l’âme que se situe une disposition tout à fait épicurienne. Au plaisir de partager des idées! Diane