Vieillir avec panache de Jocelyne Robert paru en 2021

J’ai hésité avant de me procurer ce livre. En voyant le titre, j’ai pensé que c’était un autre de ces livres qui nous disent comment bien vieillir, d’autant plus que la couverture est ornée de belles vieilles personnes qui donnent tous les signes d’être à l’apogée du bonheur. Normalement, je me tiens loin de cette littérature trop joyeuse.  Toutefois, dans un article paru au moment de la sortie du livre, on disait que l’auteur revendiquait les mots « vieux » et « vieille », qu’elle utilise sans embarras ni excuses. Tiens, enfin quelqu’un qui appelle un chat, un chat. Pour cette raison, j’ai décidé de lui donner sa chance.

Ce fût une belle découverte. Madame Robert tape sur à peu près tous mes clous préférés et elle pose plus questions qu’elle n’assigne de blâmes. Elle ne se laisse aller aux clichés que très rarement. Elle a aussi le sens de la formule, ce qui fait que j’ai abondamment souligné. Ce livre a été écrit dans l’urgence car ce sont les horreurs vécues par certaines personnes âgées durant la crise du COVID et les manifestations d’âgisme dans la rue et dans les médias sociaux qui l’ont poussée à prendre la parole. L’indignation est donc le moteur de son écriture. Mais toutefois, ce livre ne se situe ni dans l’angoisse de Laure Adler (La voyageuse de nuit) ni dans le déni jovial de Bernard Pivot. (Voir mon article sur ces deux auteurs :  https://lazonegrise.ca/article/regards-croises-sur-la-vieillesse .

L’auteure ne semble pas éprouver d’ambivalence par rapport à son propre vieillissement : « je préfère grandement savoir être vieille que savoir paraître jeune » ce qui donne à son regard le détachement nécessaire. Elle ne donne pas de conseils : plutôt elle expose ce qui est inacceptable et pointe le doigt vers ce qui est possible.

Elle aborde un grand nombre de sujets mais en allant au-delà des clichés- enfin presque toujours. Elle souligne que l’âgisme n’est pas un nouveau phénomène (en effet!), que les vieux ne sont pas nécessairement sages (enfin, quelqu’un qui ose s’attaquer à cette vache sacrée…!) et que tout le monde ne veut pas nécessairement mourir à la maison. Elle nous rappelle l’immense hétérogénéité de ce groupe d’âge sur laquelle on ne pourrait jamais trop insister. Et elle a le courage d’aborder ce sujet tabou entre tous : la mort!

Toutefois, elle aurait pu démontrer plus de retenue ou de prudence pour traiter de certains autres sujets, notamment la soi-disant ghettoïsation des personnes âgées. Qui parle de ghetto? Dans la plupart des cas, ce sont les personnes âgées qui décident elles-mêmes de vivre en résidence et non, ce n’est pas vrai qu’elles rêvent toutes de vivre dans une maison multigénérationnelle ou chez un enfant. La résidence est souvent préférable -et de loin- à l’isolement social dans une banlieue stérile ou dans un quartier peu sécuritaire ou insalubre.

À quelques reprises, l’indignation de madame Robert l’amène à utiliser des mots qui tombent dans le misérabilisme. Par exemple, « …le compactage d’êtres humains dans un même enclos… » pour parler de l’hébergement pour personnes âgées. Ouf! C’est glauque; ça fait penser à des wagons à bestiaux. La métaphore est mal placée surtout quand on pense que durant l’Holocauste, ce n’était pas une métaphore. Je ne suis pas sûre que ce langage hyperbolique soit particulièrement utile pour combattre l’âgisme. En effet, on parle maintenant du fait que l’âgisme ait des impacts psychologiques négatifs sur les personnes âgées -ce qui n’a rien de surprenant- mais à force de présenter les choses de façon aussi dramatique, on risque d’aggraver les effets ressentis.

Voici encore, pour parler des effets du confinement sur les personnes âgées : « La Covid nous a fait subir violemment et en accéléré, une cure de vieillissement, une cure de vieillesse. Trois saisons de captivité, de macération dans le refoulement, de constipation mentale et affective, de carence relationnelle, d’inhibition, de claustration. En nous assénant un coup de vieux, la COVID nous a fait perdre le sens de la fête. » Oui, dit comme cela, ça semble violent, en effet.

Cependant, ces paroles ne décrivent pas la situation générale des personnes âgées durant la pandémie. Nous sommes tous au courant des graves négligences et des situations inhumaines qui se sont produites dans certains CHSLD ou RPA.  C’était révoltant.  Il n’y a aucun doute non plus que le confinement ait pu être difficile pour les personnes en résidence à qui on a retiré le droit de se rencontrer ou de sortir, sauf accompagnées. C’était une forme de discrimination et de restriction des libertés civiles dont on n’a pas suffisamment parlé.

Toutefois, une proportion de personnes âgées- et même celles qui étaient dans des CHSLD-ont trouvé des stratégies pour faire face à cette épreuve et s’en sont bien tirées. Or, on n’a pas suffisamment fait état de cette résilience et de la capacité des personnes âgées de passer au travers. Toute personne âgée ayant survécu à cette pandémie, qu’elle ait habité dans son domicile, en résidence ou dans un CHSLD est forcément une personne résiliente. Faire abstraction de cette force interne -et même refuser de la voir- c’est encore une fois, mettre les personnes âgées dans la posture de la victime.

Sur l’ensemble du livre, ces reproches sont des vétilles. Cela reste un livre inspirant et rafraichissant qui démolit quelques mythes au passage. C’est un appel aux Boomers pour révolutionner la vieillesse : « Vieillir est une œuvre à réussir les yeux grands ouverts, envers et contre tous. Alors, mes potes, soyez vieux, soyez vieilles et ne vous taisez jamais parce qu’on vous l’impose. »

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

3 commentaires

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    Richard Longtin02/12/2021 à 12:46:31

    Comme toujours ton article est très bien écrit avec un très beau vocabulaire, merci Danielle. Richard

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    Danielle Levasseur02/12/2021 à 15:10:43

    Chère Danielle. Te lire me donne bcp de plaisir. Vocabulaire précis. Tournures efficaces. Commentaires qui font immanquablement sourire. Bref, ça me donne plusse le goût de te lire… Pour Mme Robert, je verrai si la Biblio possède son livre. Vieillis bien ma bonne amie pour qu’on puisse jouir de tes réflexions encore bien-bien longtemps!

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    Anne-Marie Gill05/08/2023 à 19:08:42

    Merci pour cette critique nuancée qui me rejoint tellement. C'est bon de voir écrit ce que nous pensons. Au plaisir de vous lire encore!

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