L’heure mauve de Michèle Ouimet publié en 2017

L’heure mauve de Michèle Ouimet -ancienne journaliste de guerre à La Presse- est un roman. C’est peut-être le seul roman -du moins le seul que je connaisse- dont l’action se passe entièrement dans une résidence pour personnes âgées.

Ce roman nous offre un tour guidé dans une résidence huppée sise dans le quartier Outremont à Montréal. Jacqueline, journaliste de guerre et conflits (tiens donc…) a décidé d’entrer en résidence. Elle se remet d’un cancer et elle est fatiguée de la vie en appartement avec les tribulations que cela implique. En entrant à la résidence, elle pense trouver le repos et la sérénité mais c’est sans compter sur sa personnalité explosive. Avec ses sacres et son manque de respect pour les règlements et pour autrui, elle a tôt fait de mettre le bordel dans la baraque et de se créer de nombreux ennemis. Par ce côté un peu caricatural, le roman fait penser à une bande dessinée ou un roman pour ado. Il aurait pu s’intituler « Astérix en résidence ».

Ouimet nous présente tous les aspects du fonctionnement de la résidence : la directrice qui veut le bien de ses résidents mais doit assurer la rentabilité de son établissement, les préposés dont les attitudes envers les résidents sont variables allant de la tendresse à la tolérance ou l’impatience, les animateurs gentils mais naïfs, etc. Il y a aussi les petites chicanes, les mesquineries entre résidents. Certains résidents sont sympathiques et d’autres pas et il en va de même pour le personnel. Il n’y a pas de parti-pris dans ce livre pour ou contre la direction ou le personnel. C’est plutôt la variabilité des besoins des résidents et la complexité de la gestion de la résidence qui sont mises en évidence sans pointer quiconque du doigt.

L’auteure passe beaucoup de temps à décrire la vie antérieure des résidents. Les hommes ont été des professionnels : professeur d’université, juge, médecin, avocat de haute voltige. Ils s’accrochent désespérément à ce qu’ils ont été et essaient de jouer de leur influence dans le petit univers de la résidence. L’ancien juge gaspille son énergie dans des guéguerres entre les tablées de la salle à manger. Celui qui était jadis un grand séducteur n’est maintenant qu’un vieux Casanova pathétique. Dans le cas de l’historien, auteur de livres sur l’Afrique récompensés de nombreux prix, son œuvre va s’éteindre avec lui car personne ne lit plus ses livres.

Quant à ces dames, elles font partie de la dernière génération de femmes à s’être sacrifiées sur l’autel de la maternité et de la carrière de leurs maris. Elles ont été de valeureuses épouses mais aussi souvent trompées par leur mari et flouées par le mariage et les conventions de l’époque. Ces histoires de couples qui finissent dans l’amertume ressemblent plutôt à une dénonciation du mariage traditionnel et nous éloignent quelque peu du drame fondamental de la vieillesse. Elles servent tout de même le propos principal : de toutes ces anciennes gloires, les rêves réalisés ou pas, les passions et trahisons, les crises et les rédemptions, il ne reste plus rien. À la résidence, leurs anciennes vies n’ont aucune importance, comme si elles n’avaient jamais eu lieu; ces personnes sont réduites à être des « atteints » ou des « non atteints ». C’est triste et Ouimet ne laisse aucune ouverture – « the crack that lets the light in » comme dirait Leonard Cohen. On a beau chercher, il n’y a pas de côté plus léger ou lumineux.

Une fois installée dans ses quartiers, la journaliste dénigre et rejette à peu près tout ce qui se trouve sur son chemin. Jacqueline est une « foodie » et lève le nez sur la cuisine laquelle alterne entre pâté chinois, poulet barbecue et autres plats préférés de notre enfance. Elle trouve la décoration médiocre (pourquoi payer un loyer si élevé pour voir ces vilaines croûtes dans les corridors?) et méprise les activités et les sorties offertes aux résidents. Jacqueline est prodigieusement chiante, mais on peut quand même comprendre certaines de ses réactions. Ne sentons-nous pas aussi ce recul instinctif quand nous allons visiter nos parents ou amis dans leurs résidences -que celles-ci soient huppées ou pas?

Jacqueline connait ses droits -et même ceux qu’elle s’imagine avoir- et la revendication lui vient tout naturellement. Connaître ses droits et savoir les défendre est certainement un atout important quand on vit en résidence. Mais elle a aussi de la difficulté à respecter les structures en place, les règlements et tout ce qui limite sa liberté d’agir à sa guise. Elle croit pouvoir rester un électron libre. Ceci n’était pas nécessairement une intention délibérée de la part de l’auteure, mais Jacqueline représente à la perfection la frange plus revendicatrice de la génération des baby-boomers, celle que Michael Adams (dans Staying Alive) appelle les « rebelles autonomes ». Selon Adams, dont l’analyse se base sur des décennies de sondages d’opinion auprès des baby-boomers canadiens, les valeurs de ce sous-groupe de baby-boomers seraient la glorification de l’autonomie, la résistance à l’autorité, l’individualisme à tous crins et l’hédonisme. (Note 1)

Ceux qui correspondent à ce profil auront probablement des attentes très élevées -et presque certainement utopiques-quant à leur futur milieu de vie. Peut-on raisonnablement imaginer un avenir où les résidences offriront une option végé à tous les jours? Des sushis à la place de la lasagne? Les résidences seront-elles capables d’évoluer en fonction des valeurs de la génération qui va venir s’y installer dans les 10 ou 20 prochaines années? J’en doute.

Au Québec, les baby-boomers sont sortis des écoles et des collèges encore tout imprégnés d’interdictions et de religion avec la ferme intention de ne plus jamais mettre les pieds dans ce genre d’endroit. (Note 2) Toutefois, même en supposant que les résidences et centre d’accueil puissent s’adapter dans une certaine mesure aux attentes de la prochaine clientèle, il n’en reste pas moins que ce sera toujours la vie en institution avec ses règles, protocoles, politiques, etc. D’ailleurs, les résidences et les CHSLD conservent encore des relents de cette ancienne crispation. À preuve, la difficulté de ces milieux de vie à tolérer l’expression de la sexualité ou la formation de nouveaux couples. Jusqu’à quel point les baby-boomers pourront-ils s’adapter à un retour en « institution » et à ce que leur liberté puisse être limitée ? Ou serons-nous capables de faire évoluer ces institutions par le simple fait de notre poids démographique?

L’intérêt de ce roman ne vient pas de ses qualités littéraires mais plutôt de la peinture, à la fois caricaturale mais ancrée dans la réalité- si vous me permettez cet oxymore- que l’auteur nous offre de la vie en résidence. En outre, il nous force à nous poser la question : quel genre de résident serions-nous si nous étions dans cette situation?

 

Note 1: Dans son livre Staying Alive : How Canadian Baby-Boomers will Work, Play and Find Meaning in the Second Half of their Adult Lives, Michael Adams explique que la génération des baby-boomers comporte au moins quatre sous-groupes dont les valeurs et opinions peuvent se ressembler ou diverger selon les cas. Toutefois, il s’agit toujours de différences relatives et de degrés. Les baby-boomers dans leur ensemble partagent certaines caractéristiques, notamment celui d’avoir généralement bénéficié de plus d’aisance que leurs parents et d’avoir des attentes plus élevées face à ce que la vie ou les gouvernements peuvent leur offrir.

Note 2 : L'analyse de Adams ne tient pas compte des différences de valeurs entre provinces canadiennes. Au Québec, la révolution tranquille et le rejet de la religion et des valeurs traditionnelles qui s’ensuivit ont incontestablement eu un effet important sur les baby-boomers québécois, peut-être en accentuant certaines des caractéristiques de cette génération et en magnifiant la différence entre eux et la génération précédente.

 

 

 

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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    Ceux et celles qui, comme moi, choisisse de vivre en copropriété pour ne plus avoir à s’occuper d’une résidence, on doit déjà se conformer aux règlements de la copropriété. Il s’agit, selon moi, d’une étape intermédiaire. Il faut bien lire les règlements avant d’acheter un tel condo. Mais la différence entre un condo et une résidence pour personne âgée, c’est que cette dernière étape est davantage un milieu de vie, avec des échanges plus soutenus avec les autres résidents. Il est tout aussi important de bien choisir sa RPA que son condo. Celle qui correspond davantage à ses valeurs et choix de vie. À mon avis, les RPA sont en voie, peu à peu, de s’adapter aux goûts et besoins des baby-boomers. Il en existe une grande variété. Il suffit de bien établir ses besoins.

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