Une balade en CHSLD*

*Pour mes lecteurs de l’Ontario, un CHSLD est un Centre d’hébergement de soins de longue durée pour adultes non-autonomes.  

Les signes du monde de Éric Gagnon, publié en 2021, éditions Liber

C’est un article de Louis Cornellier dans Le Devoir qui avait attiré mon attention sur le livre d’Éric Gagnon. Plus spécifiquement ce paragraphe : « …j’en ai assez de tous ces gérants d’estrade qui, jouissant encore de leur pleine autonomie et n’ayant jamais mis les pieds dans un CHSLD regardent ces lieux comme s’ils étaient une erreur à condamner. Il suffit pourtant d’avoir visiter un de ces milieux de soin pour savoir que les personnes qui y vivent ne pourraient pas, étant donné leur état de santé être ailleurs. » Bon, c’est dit je n’ai pas besoin de le répéter mais cela m’irritait aussi de lire et d’entendre tous ces commentaires condamnant les CHSLD en bloc, les décrivant comme des enfers ou des camps de concentration pour mourants. C’est faire abstraction du fait que la majorité des CHSLD fonctionnent bien, prennent leur mandat au sérieux et ont su bien naviguer à travers la pandémie de COVID. 

Éric Gagnon est sociologue mais un sociologue philosophe ou un sociologue poète car son ouvrage navigue entre l’académisme du chercheur et le lyrisme du poète.  Il a passé plusieurs années à étudier les CHSLD et y a travaillé en tant que bénévole. Sa connaissance du milieu est donc précise et académique mais personnelle en même temps. Lire ce livre exige une attention soutenue car l’auteur y analyse et décortique tous les aspects de la vie en CHSLD de façon minutieuse, je dirais presque obsessive : les gestes, les relations, l’organisation des services, etc. Huit pages entières sont consacrées au bingo pour démontrer l’importance symbolique de ce jeu pour garder les résidents en lien avec la vie. Plus jamais je ne rirai du bingo et de l’attachement des personnes âgées pour cette activité. Un jour, je jouerai peut-être au bingo et y prendrai du plaisir!

Gagnon parle autant de la vulnérabilité des employés que de celle des résidents. Certains employés se sentent impuissants à cause de leur incapacité à faire plus pour les résidents, soit par manque de temps ou parce que, pour certains résidents, rien de plus ne peut être fait que d’assurer leur confort. L’auteur met bien en évidence le fait que les CHSLD sont censés être des « milieux de vie » selon la politique du ministère de la Santé et que tout est fait pour donner une sorte d’humanité bienveillante à cet habitat. Mais en dernier lieu, les CHSLD sont un reflet de notre société : on y trouve du meilleur et du pire. Des préposés inattentifs et même bourrus tout comme des personnes dévouées et affectueuses. Et aussi des résidents violents et grossiers à qui il faut continuer de donner les soins requis.

Le livre d’Éric Gagnon n’est pas d’une lecture facile et peut devenir soporifique étant donné la précision de l’analyse. Toutefois, j’en suis ressortie avec une idée plus complète et rassurante de ce que pourrait être la vie en CHSLD. À n’en pas douter ce sont des endroits tristes dont les visiteurs veulent sortir le plus rapidement possible mais justement, quand on a perdu son autonomie et ou ses facultés, ces dernières années de vie peuvent difficilement être joyeuses. De les passer dans le confort et les gestes bienveillants, ce n’est pas si mal.

Un autre livre qui porte sur les fins de vie dans les CHSLD ou ailleurs : Laissez-nous vieillir! de Harold Gagné. Gagné est un journaliste qui s’intéresse aux questions de vieillissement depuis plusieurs années. Dans ce livre, il nous présente des histoires vécues, des entrevues, des témoignages. Les personnes interviewées comprennent un gériatre, des personnalités très connues, des proches aidants et des personnes en fin de vie. Il cerne donc cette période de la vie sous tous les angles. Son livre est empreint d’un grand respect pour les personnes âgées et d’une compréhension empathique des enjeux auxquels elles font face. Celles-ci ne sont pas des objets d’étude mais bien des sujets, qui ont leur propre dynamique, leurs rêves et aspirations. Ce sont des récits très touchants car ils réussissent à raconter sans lourdeur ni sentimentalisme la vie vécue par ces personnes.

Plusieurs de ses articles traitent d’incidents qui ont eu lieu dans les CHSLD, certains ayant entraîné la mort du résident ou au moins une détérioration sérieuse de sa condition. Dans tous les cas, il y a eu négligence ou erreur, le manque de personnel et de soutien jouant un rôle important dans ces événements. Il y a aussi des cas où la mauvaise foi et le manque de transparence de la direction sont évidents. Toutefois, Gagné ne jette pas le bébé avec l’eau du bain et reconnait que dans l’ensemble les CHSLD font un bon travail en composant avec des budgets restreints et un personnel toujours étiré à la limite.

Le livre de Gagné a un effet semblable à celui de Gagnon, celui de jeter un vif éclairage sur ce qui se passe dans les CHSLD, le sociologue le faisant avec plus de rigueur et le journaliste avec plus d’émotion. De la lecture de Gagné, je suis sortie un peu moins rassurée que de celle de Gagnon mais les deux auteurs ont la même compassion pour les résidents, pour les proches aidants et pour les employés des CHSLD. Chapeau à tous les deux!

Pour en savoir plus sur les CHSLD, une série de reportages intitulée CHSLD : Au front sera diffusé à l’antenne de RDI télé les jeudis à 20 h 00 à partir du 7 octobre 2021.

 

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

1 commentaire

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    Richard Longtin07/10/2021 à 17:39:34

    Merci pour cet article des plus intéressant, Richard

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