Une histoire de cheveux gris

En 2017, paraissait le roman autobiographique « Une apparition » de Sophie Fontanel, journaliste à Paris.  Ayant entendu qu’on y traitait de cheveux gris et puisque je m’intéresse au vieillissement, j’ai emprunté le livre de la bibliothèque. Je me félicite maintenant de ne pas l’avoir acheté, mais là, je vends la mèche un peu trop tôt!

Voici l’essentiel de cette histoire de cheveux. Sophie, journaliste de mode âgée de cinquante-trois ans, vit une période difficile, peut-être reliée au fait de vieillir mais ça, on ne le saura pas vraiment. Un jour, alors que Sophie est assise à une terrasse en bord de mer, survient une apparition qui fait tourner toutes les têtes, masculines d’abord, féminines ensuite. C’est une femme svelte et bronzée arborant une magnifique crinière blanche. « L’apparition » a dépassé l’âge de porter les cheveux très longs mais « Elle », elle ose les porter jusqu’aux reins. Abasourdie, presque en transes, Sophie vit alors un moment de grâce : ça y est, elle aussi pourrait se laisser aller au gris! Il semble que ce soit la solution à son malaise existentiel. Lorsqu’elle cesse la coloration, elle reçoit les avis, négatifs et positifs, de son frère, sa coiffeuse, son masseur, ses amies, ses collègues, ses amants et tutti quanti! Mais étant une personne déterminée, elle tient bon; d’un chapitre à l’autre et d’un selfie à l’autre (on a droit à 32 photos de la chevelure en transition), cette fière héritière de la révolution française tient tête à ses détracteurs. La résolution du roman est un triomphe car malgré sa tête toute blanche, elle est encore draguée et par des hommes plus jeunes qu’elle en plus!

 

Ce roman est d’une vacuité insondable. J’ai été tentée de laisser tomber les cheveux de Sophie à plusieurs reprises mais j’ai persévéré jusqu’au bout afin de pouvoir écrire cet article en toute bonne conscience. Certes, le livre comporte une légère dénonciation-une toute petite demi-page de texte- de la difficulté pour les femmes de porter les cheveux gris ou blancs. Mais c’est fait du bout des lèvres.

Le message de ce livre est simple : Mesdames, vous qui avez commencé à grisonner, vous êtes chanceuses car les tifs gris sont maintenant à la mode. Allez, vous avez maintenant le droit de montrer vos mèches au naturel. Mais attention : ne le faites que si vous êtes sexy ou au moins, agréable au regard.  Si nous pouvons célébrer l’accès au libre-choix capillaire, par contre l’obligation de rester séduisante reste absolue, quel que soit votre âge. Ce livre est une célébration de l’alliance entre sexisme et âgisme.

Ce qui est encore plus surprenant dans tout ça, c'est l'importance qu'on a accordée à ce livre. La journaliste a été invitée dans les talks shows français et même fait le sujet d'articles ici. Comme si personne n'avait vu le message insidieux caché sous les cheveux gris de Sophie Fontanel. Elle était présentée comme une vraie rédemptrice de la vieillesse, comme quoi on pouvait rester séductrice tout en portant son âge sur sa tête. 

Certes, il y a une distinction à faire entre d’une part, le désir de paraître à son avantage malgré les affres du vieillissement et d’autre part, le besoin de rester dans la séduction et dans la représentation de soi-même en tant qu’objet sexuel. Le premier est un indice de bonne santé mentale mais le deuxième nous enferme dans une dynamique où les femmes ne trouvent leur validation que dans le regard des autres. Or, il semble que cette dynamique nous poursuit maintenant au cœur même de notre vieillesse. Bravo Sophie, tu peux être fière de toi! 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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