Qui aime les vieux? Et pourquoi?

Dernièrement, une comédienne québécoise (j’ai oublié laquelle…) déclarait fièrement aimer les vieux. Ah bon! Je me suis demandée, mais quels vieux aime-t-elle précisément? Tous les vieux? Pas seulement les beaux, les fins et les drôles? Est-ce possible d’aimer les vieux dans leur ensemble?

Aussi positive que soit cette affirmation, elle contient un relent d’âgisme. Dire « J’aime les vieux » c’est comme dire qu’une personne se définit par son âge : quand on est vieux on est comme ceci ou comme cela. Est-ce que l’âge avancé d’une personne lui donne une aura particulière? Devient-elle plus aimable? Cette pensée, récoltée dans Les pieds sur terre d’André Major me semble tout à fait pertinente : « Aimer les généralités – le Peuple, la Femme, et même la Vie – cela ne veut pas dire grand-chose, pas plus qu’aimer l’Enfance, l’Avenir ou l’Art, le Soi ou l’Autre. »  À cette liste, André Major aurait pu ajouter les Vieux ou la Vieillesse. On ne peut pas aimer les vieux de façon générale à moins de souscrire à certains stéréotypes ou d’exclure de notre liste ceux qui sont obtus, fermés, maussades ou malcommodes. Les vieux cons, quoi. (Voir mon article sur la sagesse des vieux (https://lazonegrise.ca/article/cette-supposee-sagesse-des-vieux )

Or, les personnes âgées sont tout aussi variables entre elles que la société elle-même; la variabilité entre personnes âgées est même plus grande que celle qu’on trouve entre les membres des autres générations. ( Voir https://lazonegrise.ca/article/les-vieux-sont-tous-pareils ) Je reformule donc l’affirmation de la comédienne de cette façon : peut-être que ce qu’elle aime c’est la vieillesse, c’est-à-dire, qu’elle n’a pas peur de la vieillesse et elle peut trouver du plaisir à fréquenter certains vieux. Ok, formulé comme cela, ça peut aller.

Toutefois, il y a des personnes qui s’intéressent spécifiquement à la vieillesse ou qui aiment travailler avec les personnes âgées de préférence à d’autres groupes. Y-a-t-il quelque chose qui distingue ces personnes? Je suis allée glaner, dans mes livres sur la vieillesse, les raisons pour lesquelles tel ou tel auteur s’intéresse aux vieux ou à la vieillesse. Les sociologues peuvent s’intéresser à la vieillesse simplement parce que la société est vieillissante. Étudier les vieux d’aujourd’hui c’est comme étudier notre avenir à tous. Pour d’autres, c’est une façon de se confronter à sa propre anxiété face à la vieillesse; c’est le cas, je crois, pour Laure Adler (auteure de La voyageuse de nuit). Certains sont indignés de la situation faite aux vieux dans la société et veulent la dénoncer.

D’autres le font parce qu’ils sont personnellement touchés par les vieillards. Dans son livre Vieillissimo, la géronto-psychiatre Véronique Griner-Abraham, explique son choix de spécialité de la façon suivante : « J’aime les vieux parce que j’aime les histoires. J’aime les histoires longues et les bons conteurs. Tous mes patients me racontent une histoire. » Elle dédicace son livre à ses deux aïeules car : « elles m’ont toujours donné l’envie de travailler auprès de ceux et celles qui leur ressemblait. »

Harold Gagné, l’auteur du livre Laissez-nous vieillir raconte comment il a commencé à s’intéresser aux personnes âgées quand il a emménagé dans un immeuble où la majorité des résidents étaient âgés.  Il a alors découvert comment les personnes âgées pouvaient être intéressantes, vivantes, et très différentes les unes des autres. Mais en lisant son livre, on comprend que son attrait pour les personnes âgées a une source plus profonde que le simple hasard. En fait, c’est son amour pour sa grand-mère décédée alors qu’il était adolescent qui le lie aux vieux et qui fait qu’il se sent de connivence avec eux. Il est capable d’imaginer sa grand-mère dans toutes les vieilles qu’il rencontre.

La jeune réalisatrice du documentaire La dernière maison avait également une relation étroite et affectueuse avec sa grand-mère et c’est justement son sentiment de culpabilité qui fait qu’elle décide de faire un film sur le sujet du « placement » dans une maison de soins. Sa grand-mère est son point de départ mais c’est pour toutes les personnes âgées qu’elle s’inquiète.

D’autres s’intéressent à la vieillesse, étant ce qu’on appelle de « vieilles âmes ». C’est peut-être le cas de l’auteur à succès David Foenkinos, né en 1974 et qui dit : « Je me sens vieux depuis ma tendre enfance. J’ai en permanence la sensation du temps qui s’échappe. » Dans Il faut rester dans la parade, la collection d’entrevues de personnes âgées menées par la journaliste Catherine Bergman, le père Lacroix (chercheur et théologien) partage ceci : « J’ai toujours été en admiration devant les vieux quand j’étais jeune. La première image que j’ai gardée de mon enfance est celle de mon grand-père assis au bout de la table. Un grand-père à barbe blanche. J’avais quatre ans. À partir de ce moment-là, j’ai toujours cherché à découvrir des gens âgés, qui dans mon esprit étaient les grands-pères à barbe blanche. J’ai vu Pablo Casals jouant du violoncelle à quatre-vingt-seize ans. J’ai vu Rubinstein jouer du piano à quatre-vingt-neuf ans, les yeux fermés. Pour moi, c’est ça, la vie. »

Les défenseurs des aînés pourraient trouver offensant le fait de chercher des raisons particulières pour lesquelles on aimerait les vieux. En réalité, cela n’a rien d’offensant; le fait d’aimer ou de s’intéresser à une autre génération que la sienne n’est pas une démarche toute naturelle. Chaque génération a tendance à penser à elle-même et à ses préoccupations et la lutte entre les générations ne date pas d’hier. Les vieux ont toujours critiqué les jeunes pour leur impudence, leur arrogance, etc. et les jeunes ont toujours détesté les vieux qui leur rabâchaient les mêmes idées anciennes.  Comme l’a bien démontré Susan Jacoby dans « Never Say Die », l’âgisme n’est pas nécessairement pire en ce moment qu’il l’a été dans le passé.  

Si l’affection pour les vieux ne vient pas tout naturellement, il semble qu’elle soit facilitée par le fait d’avoir eu une relation étroite avec une personne âgée bienveillante. Or, de nos jours, la formation d’un lien fort entre un enfant et un grand-parent s’avère difficile. Pourtant, les grands-parents sont en surabondance.  En effet, jamais auparavant on n’a vu autant de familles comportant cinq générations vivantes en même temps. Étant donné l’espérance de vie plus longue, un enfant d’aujourd’hui est beaucoup plus susceptible d’avoir des grands-parents et des arrière grands-parents encore vivants que nous l’avons été dans notre jeunesse. En plus, si les parents de cet enfant se sont séparés et ont formé un autre couple, le nombre de grands-parents est multiplié. Et si les grands-parents se sont séparés...faites le calcul. Donc, on ne manque pas de grands-parents.

Toutefois, l’abondance de grands-parents ne garantit pas qu’il y aura un lien fort entre les plus jeunes et leurs aïeuls. Justement, la séparation des couples et l’éparpillement des familles créent des distances géographiques de sorte que certains enfants ne voient leurs grands-parents que de façon occasionnelle. Les grands-parents qui sont en forme sont souvent partis en voyage, en croisière, etc. et ceux qui le sont moins sont en résidence ou en centre de soins. Par conséquent, beaucoup d’enfants arriveront à l’âge adulte sans avoir connu une seule relation affective avec une personne âgée. Dans ce contexte, ce n’est pas surprenant que les jeunes puissent former toutes sortes de préjugés défavorables face aux personnes âgées. (voir https://lazonegrise.ca/article/agisme-et-rectitude-gerontologique

Certains défenseurs des droits des personnes âgées -sans les nommer- se fendent en vitupérations contre l’âgisme. Toutefois, ces protestations ulcérées ne font rien pour diminuer l’incompréhension entre générations. Il vaudrait mieux essayer de comprendre les racines de cette incompréhension et travailler en amont pour contrer ces facteurs. C’est justement le but de ce groupe de recherche de l’Université de Sherbrooke qui s’est nommé Grande Interaction pour rompre avec l’âgisme (https://www.facebook.com/GIRARompreAgisme. Ce groupe de chercheurs -le site dit bien qu’il s’agit d’un site de science- vise à mieux comprendre l’âgisme, à identifier ses origines (dont certaines reposent sur des intentions bienveillantes) et à créer des occasions d’interaction. Je le recommande fortement.

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

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