Sleepy Joe

Sleepy Joe?

Pour l’article de cette semaine, j’avais l’intention d’écrire sur un tout autre sujet mais à cause des événements chez nos voisins du Sud, je n’ai pas réussi à me concentrer sur le sujet prévu que j’ai fini par trouver hors de propos. Je vais vous parler à la place de Joe Biden (Sleepy Joe comme l’avait surnommé Trump) et du fait qu’on a mis en doute sa capacité à mener le pays à cause de son âge.

Mettons de côté pour le moment les bêtises de Trump. Il n’en reste pas moins que la question à savoir si une personne âgée est apte à gouverner a certainement dû faire surface dans l’esprit d’un bon nombre d’électeurs, démocrates comme républicains. Il a quand même 78 ans. Dans le contexte canadien ou québécois, que ferions-nous si nous avions le choix entre une personne plus âgée que la norme et une plus jeune comme leader d’un parti? Serions-nous influencés par leur âge? Étant donné la longévité accrue dans nos sociétés, ce type de situation pourrait se présenter de plus en plus souvent.

Est-ce que l’âge avancé d’un(e) leader constitue un risque pour la bonne conduite de l’état? Non, vraiment pas. En autant que la personne soit dans un processus de « vieillissement normal », c’est-à-dire qu’elle ne souffre pas d’une maladie grave ni de pertes cognitives, l’âge ne pose pas de problème particulier. Pensons à tous ces chefs d’état qui ont gouverné jusqu’assez tard dans leur vieillesse : Golda Meir, Charles de Gaulle, Nelson Mandela et Fidel Castro entre autres.

Revenons à Joe Biden. Les apparences indiquent qu’il est dans un processus de vieillissement normal. Toutefois, les études démontrent que certaines de nos capacités mentales commencent à diminuer de façon plus significative vers l’âge de 75 ans et ce même dans une situation de vieillissement normal.  Les facultés affectées sont principalement les suivantes : la rapidité des réflexes, la mémoire à court terme (« Quel est le nom de cette personne que je viens de rencontrer ? » et « Où ais-je mis mes lunettes? »), l’attention et l’intelligence fluide.

Quand on parle d’une lenteur accrue des réflexes, il s’agit de résultats obtenus en laboratoire sur des tâches créées pour le labo. On parle d’un ralentissement chez les personnes âgées qui pourrait être de l’ordre de secondes ou de millisecondes. Ces petites différences sont peut-être significatives quand on conduit une automobile mais pas pour la direction d’un pays. Quant à l’érosion de la mémoire à court terme, c’est certainement un irritant pour ceux qui la subissent (et pour leurs proches également) mais à part cela, ça ne pose pas de problème particulier. On peut facilement se donner des repères et adopter des habitudes qui permettent de compenser pour ces oublis.

Il y a aussi la question de l’attention. Par exemple, avec l’âge on devient moins apte à porter attention à plusieurs stimuli en même temps. Le multi-tâches devient plus difficile et les interférences sont plus dérangeantes qu’auparavant. Encore là, ceci n’est pas nécessairement un problème car il y a des façons de gérer la chose.  Quoiqu’il en soit, c’est évident que de nombreuses personnes âgées arrivent à conserver une capacité d’attention et de concentration élevée. Pensez à tous les musiciens et chefs d’orchestre qui continuent de donner des concerts ou aux écrivains qui continuent bon an mal an de produire des bestsellers jusqu’à un âge très avancé.

L’intelligence fluide, une faculté qu’on voit diminuer avec le vieillissement, est la capacité de percevoir des relations abstraites entre des objets et de résoudre des problèmes sans avoir recours aux connaissances ou à l’expérience. Ce type d’intelligence est souvent mesurée avec des puzzles comportant des figures géométriques ou des séquences mathématiques. Fait à noter, c’est vers la quarantaine ou la cinquantaine que l’intelligence fluide commence à diminuer.

Donc pour résumer, les facultés affectées par le vieillissement ne sont pas celles qui sont importantes pour gouverner un pays. Voyons les facultés qui ne sont pas affectées : la mémoire à long terme, les connaissances, le jugement, le vocabulaire, et ce qu’on appelle l’intelligence cristallisée. L’intelligence cristallisée est celle qui repose sur les connaissances et l’expérience accumulée. Elle nous permet d’examiner des situations ou des problèmes complexes en considérant plusieurs facteurs et d’arriver à une résolution ou une prise de position qui tienne compte de tous ces facteurs. Les études démontrent que l’intelligence cristallisée augmente avec l’âge et que cette progression peut se manifester jusque tard dans la vie. Il en va de même pour le vocabulaire, le jugement et les connaissances qui ne cessent d’augmenter durant toute la vie. Ceci résume la situation pour les capacités cognitives.

Pour ce qui est du physique, Biden semble être en forme, il est mince et il se fait un point d’honneur de toujours courir vers le podium. Bien sûr, il gère son image mais cela a été confirmé qu’il se maintient en forme contrairement à l’autre qui ne fait que se déplacer entre sa voiturette de golf et le tee.

Bien entendu, il y a un risque qui demeure présent et c’est le fait qu’avec le passage du temps, on court de plus en plus de chances d’être atteints d’une maladie quelconque. Simple question de probabilité. Mais, entre vous et moi, laquelle de ces deux personnes aurait le plus de chances de claquer d’une crise cardiaque : un individu de 78 ans de taille mince, de tempérament stable et conciliant ou une personne de 74 ans, avec un tempérament colérique et agressif accompagné d’un surplus de poids?

Ceci m’amène à parler de la variabilité chez les personnes âgées. Le vieillissement ne se déroule pas selon une séquence prévisible, comme pour les nouveau-nés, par exemple. À l’exception des bébés prématurés, malades ou qui ont des problèmes de développement, le point de départ est le même pour tous. Ceci permet de prévoir avec un degré de précision relativement élevé l’âge où ils commenceront à marcher, babiller, etc. 

Rien de tel pour les personnes âgées. Celles-ci ont eu toute leur vie pour se distinguer et se différencier les unes des autres. On place arbitrairement le début de la vieillesse autour de 75 ans mais des personnes ayant dépassé cet âge peuvent être en meilleure forme physique que certaines de 60 ans ou même plus jeunes. Et des cerveaux de 90 ans peuvent être aussi alertes que ceux de 40 ans.  D’où l’impossibilité de savoir ce qui est « normal » pour un certain âge, sujet auquel j’ai touché dans mon article Nos petits bobos.

En résumé, l’âge n’est tout simplement pas un critère pertinent pour juger de la capacité d’une personne d’accomplir une tâche de haut niveau telle que gouverner un pays. Peut-être qu’un jour, poser la question « Mais est-il (elle) trop vieux(vieille) pour gouverner? » sera considéré aussi absurde que de demander « Mais est-ce qu’une femme peut gouverner ? »

 

 

Danielle Ferron, Ph.D., Auteure de l'article

Danielle Ferron a pris sa retraite en 2016 après une carrière de chercheure dans les sciences sociales. Elle détient un doctorat en psychologie et depuis sa retraite, elle a donné des ateliers sur la préparation à la retraite et publie des articles sur le sujet de la retraite et du vieillissement.

3 commentaires

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    Boulé Richard12/11/2020 à 14:24:20

    Merci Danielle pour ce bel article éclairant.

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    Jacques Garant12/11/2020 à 16:55:46

    Il y a tout de même des nuages à l’horizon.Il aura je crois 78 ans au début de son mandat en janvier.Donc il aura dans 80 pour la moitié du temps.Le risque d’un accident ou d’un déclin est tout de même significatif. De plus sa tâche est éminemment complexe , lourde et stressante . On peut jogger à 80 ans mais là on parle de triathlons. Je crois qu’il a été très avisé de choisir une jeune femme comme co-listière car elle risque d’avoir à prendre la relève En résumé la tâche est colossale et de longue durée.Je lui souhaite bonne chance mais je ne gagerais pas sur lui au point de vue santé dans ce contexte.Si il réussit ce sera exceptionnel P.S. Avec tous les obstacles ça lui prendra une tolérance à la frustration hors norme mais j’ignore effet de vieillesse sur ce facteur.......

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    Danielle Ferron13/11/2020 à 09:57:19

    Merci Jacques pour ce commentaire. Oui, il y aura toujours des risques mais ça serait le coup du destin. Le but de mon article -et je ne sais pas si j'ai réussi- c'est de montrer qu'il n'y a pas de dépérissement automatique, surtout au niveau cognitif, parce qu'on est âgé et que ce qui diminue ne sont pas des facultés qui auront beaucoup d'importance dans sa capacité de diriger. Bien sûr, il y a le niveau d'énergie requis et pour cela, il a bien fait de se faire assister d'une personne jeune et dynamique. On verra... on s'en reparle d'en quatre ans!

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